Une reconnaissance des racines méditerranéennes de la France : préalable pour une renaissance
- Luc Delmont
- 13 juin
- 6 min de lecture

Introduction : La France traverse depuis plusieurs décennies un malaise identitaire profond, que ni les alternances politiques ni les réformes structurelles n’ont réussi à apaiser. Ce mal-être diffus – social, culturel, économique – traduit plus qu’une simple crise de gouvernance : il révèle une inadéquation structurelle entre les aspirations profondes du peuple français et les modèles de société qu’on cherche à lui imposer. L’individualisme concurrentiel, la marchandisation du lien social, la technocratie désincarnée, autant de traits issus de la modernité anglo-saxonne ou germano-protestante, peinent à s’implanter harmonieusement sur un terreau culturel marqué par la recherche du bien commun, la convivialité, l’enracinement et la primauté du collectif.
Or cette tension est en grande partie le fruit d’un malentendu historique sur la nature profonde de la France.
Trop souvent perçue, y compris par ses propres citoyens, comme une nation d’Europe du Nord – par sa géographie politique, ses alliances stratégiques ou l’imaginaire centralisateur de Paris – la France est en réalité, à la lumière des données historiques, culturelles, religieuses, linguistiques et même génétiques, une nation méditerranéenne. Comme l’a souligné Fernand Braudel, la Méditerranée n’est pas qu’un espace : c’est une matrice de civilisation. Et la France y puise nombre de ses structures fondamentales.
Retrouver cette identité sud-européenne ne relève donc pas de la nostalgie régionaliste, mais d’un impératif de lucidité nationale.
Il ne s’agit pas d’inventer une tradition, mais de redécouvrir ce que nous sommes déjà – et ce que nous avons refoulé. Se réapproprier cette appartenance méridionale, c’est offrir à la France des clés pour penser un avenir plus conforme à sa nature, à ses forces, à sa mémoire. C’est aussi un acte de résistance face aux modèles standardisés de la globalisation, inadaptés à notre histoire.
1. les racines de la perception nord-européenne de la France
Cette perception découle en partie d’une centralisation politique et culturelle autour de Paris, capitale geographiquement très excentrée, plus proche de Londres ou Amsterdam que de Rome ou Madrid. À cela s’ajoute un alignement géopolitique progressif à partir du 19ème siècle sur les puissances atlantiques et d’Europe du nord : du Royaume-Uni au modèle allemand post-Seconde Guerre mondiale, en passant par l’Union européenne et l’OTAN.
Mais cette lecture néglige des réalités profondes : l’implantation de la viticulture, de la cuisine de convivialité, des structures familiales élargies, une langue romane riche en héritage latin, un catholicisme de sociabilité, une architecture urbaine tournée vers la place publique… autant de traits qui rapprochent la France, même du Nord, bien plus de l’Italie ou de l’Espagne que de l’Europe du Nord protestante ou anglo-saxonne.
2. Les marqueurs civilisationnels méditerranéens
L’identité méditerranéenne de la France ne se limite ni à son Sud géographique ni à des influences anecdotiques. Elle se déploie en profondeur dans trois dimensions fondamentales : culturelles et sociales, religieuses et spirituelles, génétiques et historiques.
a) Une culture latine de la convivialité
La culture française, dans ses expressions quotidiennes comme dans ses grands récits, est fondamentalement méditerranéenne. Le fait que le français soit une langue romane, issue du latin populaire, inscrit immédiatement le pays dans le vaste héritage civilisationnel né de Rome. Mais au-delà de la langue, c’est tout un style de vie – centralité des repas partagés, attachement aux marchés, à la gastronomie, aux places publiques et à la beauté urbaine – qui distingue la France des cultures plus fonctionnelles du Nord.
Le lien familial reste fort, y compris dans les régions perçues comme « septentrionales ». La transmission intergénérationnelle, la valorisation de la parole, du geste, du rituel quotidien rapprochent les pratiques françaises de celles des autres pays latins. Ce mode de vie est moins tourné vers la rationalisation maximale que vers l’art de bien vivre, fait d’équilibre, d’humanité, d’adaptation au rythme du monde. Camus, Giono, Pagnol ou encore Jean Giono ont incarné cet esprit d’un Sud existentiel qui dépasse la géographie.
b) Le socle catholique : éthique communautaire et anthropologie oubliée de la convivialité
Le catholicisme français, même largement sécularisé aujourd’hui, continue de façonner les structures morales, festives et sociales du pays. Hérité d’un christianisme latin diffusé dès les premiers siècles depuis Rome et les rives de la Méditerranée, ce catholicisme populaire a modelé les paysages (villages centrés sur l’église), les calendriers (fêtes de saints, Noël, Pâques), les rituels de passage (baptême, mariage, deuil), mais aussi une certaine éthique de la compassion, du collectif et de la fête.
Contrairement aux cultures protestantes plus austères, individualistes ou rationalisées, le catholicisme français valorise la médiation, la ritualité, la corporéité. Même dans la distance actuelle à la religion, les échos de cette tradition persistent : goût de la commémoration, importance du patrimoine, attachement aux valeurs d’accueil, de solidarité de proximité. Ces éléments rapprochent encore une fois la France de ses voisines du sud latin, et, au-delà du bassin méditerranéen dans son ensemble.
c) Une généalogie biologique méditerranéenne
L’argument souvent porté serait que, malgré sa struture civilisationnelle plangeant profondement dans la méditerranée, d’identité profonde des français serait liée à l’Europe du nord, appuyé sur les récits historiques et populaires sur « nos ancêtres les Gaulois », les invasions barbares des Wisigoths ou Burgondes, la fondation du royaume de France par les francs, ou les raids des Vikings en Normandie.
Bien que les mouvements migratoires en provenance du nord ne soient pas a renier, et ont aussi participé à la construction du pays, il n’est plus possible d’affirmer, comme cela l’a beaucoup éte fait, qu’être un « vrai français » signifierait avoir un heritage génétique lié à l’Europe du Nord.
Aujourd’hui, Les travaux de génétique des populations menés au XXIe siècle, notamment par David Reich, Iosif Lazaridis, Johannes Krause ou encore les équipes de l’étude « Genomic History of Southeastern Europe », montrent que la majorité du patrimoine génétique des Français dits « de souche » (sans prendre en compte l’immigration ayant eu lieu après la période industrielle) dérive en grande partie des agriculteurs néolithiques venus du Levant via l’Europe méditerranéenne. On estime à 50–60 % cette part dans le génome des populations françaises dites « autochtones », contre 40–50 % en Allemagne ou au Royaume-Uni, et 60–70 % en Espagne et en Italie.
À cela s’ajoutent des apports indo-européens (venus des steppes), mais les proportions montrent clairement que la France est génétiquement intermédiaire entre des pays comme l’Allemagne et le Royaume-Uni d’un côte et l’Italie et l’Espagne de l’autre, et qu’elle présente une dimension génétique ancienne majoritairement liée au bassin méditerranéen. Ce socle biologique, ancien de plusieurs millénaires, recoupe et renforce l’ancrage linguistique, culturel et spirituel méditerranéen. La réalité historique des migrations va a l’encontre de ce qui est generalement assumé, souvent pensée comme un peuple « du nord » ayant reçu des vagues migratoires et des influences méditerranéennes plus récentes, la génétique moderne semble plutôt affirmer que la France possède une base génetique méditerranéenne très ancienne (neolithique) qui a été nuancée et completée au cours des derniers millenaires avec l’installation et l’assimilation de peuples venant du « nord » (celtes, germains), mais aussi du « sud » (grecs, romains, etc.).
3. Une modernité « anglo-germanique » imposée : source de malentendu
Depuis les Trente Glorieuses, les modèles économiques et sociaux dominants imposent une vision du monde issue d’autres civilisations : compétitivité, performance, fragmentation sociale, hypermobilité. Ces dynamiques provoquent une dissonance cognitive et affective chez de nombreux Français qui peinent à s’identifier à cette société qu’on leur présente comme « moderne », mais qu’ils vivent comme froide, désincarnée et inhospitalière.
Conclusion :
Redécouvrir la France méditerranéenne n’est pas un exercice folklorique ni une relecture passéiste de l’histoire. C’est au contraire une démarche de vérité et de projection, qui permet de reconnecter le pays à ses structures profondes : anthropologiques, culturelles, sociales. Dans un monde en perte de repères, où la standardisation libérale et technocratique tend à étouffer les singularités historiques, il est vital pour la France de se souvenir qu’elle est d’abord une nation de civilisation, pas seulement d’économie ou d’administration.
Repenser l’école, l’urbanisme, les modes de vie, les rythmes sociaux ou les structures de solidarité à partir de ses racines méridionales, c’est rendre à la société française une cohérence, une vitalité et une paix intérieure qu’elle cherche désespérément ailleurs. C’est aussi refuser l’aliénation à des modèles culturels qui lui sont étrangers et qui, loin de l’émanciper, la déforment.
Une renaissance méditerranéenne de la France ne serait donc pas un repli régional, mais une réouverture au monde depuis un socle enfin assumé. Elle pourrait marquer le début d’un nouveau cycle historique, fidèle à l’héritage latin, chrétien, populaire et humaniste du pays – un modèle de société où le lien prime sur l’isolement, la mesure sur l’excès, et la mémoire sur l’oubli : 532 ans plus tard, une Renaissance 2.0 permettra a la France de retroiver sa place en renouant avec ses racines.



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