Paris, une ville "méditerranéenne" qui s’ignore
- Luc Delmont
- 24 nov.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 25 nov.
Ce titre semble s'afficher comme une provocation, tellement, à l'échelle de la France Paris est associé à sa position dans le Nord du Pays. Il est vrai, en effet, que 90% du pays est situé au sud de Paris...
D'une façon générale, dans le monde, l'image de Paris est aussi habituellement associée au réseau de villes capitales d'Europe du Nord-ouest : Londres, Amsterdam, Bruxelles, Berlin…
Par conséquence on perçoit souvent la France comme étant un pays d’Europe du Nord, comme si son identité culturelle se résumait à la "nordicité" supposée de Paris.
Cette association quasi instinctive brouille pourtant une vérité géographique et culturelle : Paris, tant par sa géographie que par ses caractéristiques urbaines est une ville bien plus "sud Européenne" qu'on ne le croit…

Au delà des impressions superficielles liées généralement au gris du ciel et au gris des toitures d'ardoises et de zinc, Paris ne partage ni l'organisation spatiale, ni les formes urbaines, ni la sociabilité, ni même l'esprit architectural typique des villes de la moitié nord de l'Europe.
Bien que située au nord de la France, Paris appartient, par sa structure profonde, à la grande famille des villes d'Europe du sud. Elle est une capitale "méditerranéenne" qui s’ignore parfois, héritière d’un patrimoine urbain et social bien plus méridional qu’on aime à le penser.
Une localisation trompeuse
On abuse souvent de l’idée que Paris serait une "ville du nord" dans l'absolu. Mais cette perception repose sur un raccourci : confondre le nord de la France avec le nord de l'Europe. Par sa stricte localisation géographique, Paris est certes clairement dans le nord de la France, mais cela ne signifie pas qu'elle soit dans le nord de l'Europe.
En effet, dès que l’on change d’échelle, l’illusion se dissipe : Paris se situe sur la même latitude que Vienne, capitale emblématique de l’Europe centrale. Paris est bien plus au sud que les Pays Bas ou du Royaume-Uni, et plus au sud que la grande majorité de l'Allemagne.

Par ailleurs, le Bassin Parisien, bien que situé aux latitudes de l'Europe Centrale de langue Allemande, de l'Autriche ou de la Bavière, présente une caractéristique spécifique : celle de s'ouvrir naturellement vers le bassin méditerranéen, via la Vallée de la Saône et du Rhône. C'est une particularité unique en Europe : le nord de la France est le seul espace de l'Europe médiane à être directement connecté à l'Europe du sud, sans aucune barrière naturelle.

Cette particularité géographique a façonné une ville à la croisée des influences : fondée par les Parisii, tribu Celtique originaire d'Europe centrale mais développée et héritière du monde latin depuis la conquête de César, inscrite dans un climat tempéré, ouverte depuis toujours aux peuples, cultures et idées venues de méditerranée ; Agriculteurs méditerranéens du néolithique, Marchands Grecs, colons Romains, puis artistes Italiens, etc. Rien, dans ses fondamentaux, ne la rapproche des villes d'Europe du nord, sinon un a priori tenace.

Une densité typiquement méditerranéenne dans une capitale prétendument “du nord”
La densité est l’un des marqueurs identitaires les plus puissants d’une ville. Paris est l’une des capitales les plus denses d’Europe : environ 20 000 habitants au km², une valeur seulement comparable à celles de villes méditerranéennes comme Barcelone, Naples ou Gênes.
C’est la densité compacte, vivante, continue, typique des cultures urbaines méditerranéennes. Aucune Grande ville d'Europe du nord, ni même d'Europe centrale ne présente un telle densité urbaine.
L’Europe du Nord, au contraire, se caractérise le plus souvent par un tissu aéré, fait de maisons individuelles, de "maisons de ville" en bandes, de rues peu serrées et de centres urbains moins concentrés.
Même une ville comme Londres, pourtant grande mégalopole d'envergure mondiale présente un tissu urbain relativement peu dense en comparaison avec les densités de Paris et des villes d'Europe méditerranéenne. Le centre de Londres, la "city", est certes bardée de gratte-ciels imposants, mais reste essentiellement un "central business district" ou peu de gens vivent.

En matière de densité, Paris n’est donc pas Londres, Amsterdam ou Hambourg. Elle est une cousine plus proche de Barcelone, Rome, Turin ou Madrid. Son intensité spatiale trahit un ADN urbain typiquement sud-Européen.


Une ville ordonnancée, composée, théâtralisée, héritière des modèles antiques et de l'Italie.
L’un des traits les plus méditerranéens de Paris tient à ses formes urbaines. La capitale est une ville dessinée, mise en scène, structurée selon les principes hérités de Rome, de la Renaissance italienne et du baroque : Les grandes perspectives – du Louvre à la Concorde, de la Concorde à l’Étoile, de l’Étoile à la Défense – prolongent des traditions de composition que l’on retrouve dans les villes italiennes et espagnoles, de Turin à Madrid.


Contrairement aux villes "Germaniques", de structures souvent organiques et irrégulières, Paris a été conçue comme un décor civique, où l’urbanisme relève de l’art autant que de la fonction. Cette dimension scénographique, héritée des cultures méditerranéennes, place le promeneur au cœur d’un théâtre urbain voulu comme tel. Ni Londres, ni Amsterdam, ni Berlin ne constituent une telle mise en scène de l'architecture.
Des espaces publics structurants porteurs de vie sociale
La sociabilité parisienne s’organise autour d’espaces publics composés où l’on se rencontre, se montre, se croise : places, boulevards, quais, jardins, etc. C’est une manière de vivre la ville éminemment latine, en déclinant les usages vivants dans tout un vocabulaire d'espaces particuliers.
Les grandes places parisiennes – République, Vendôme, Nation, Vosges – fonctionnent comme des agoras. Les boulevards, gagnés sur les remblais et anciennes fortifications, avec leurs alignements d’arbres, leurs larges promenades, leurs trottoirs généreux, se retrouvent autant à Paris qu'à Barcelone (Ramblas), avec les cours Turinois ou les places et promenades madrilènes.




Paris n’est jamais autant elle-même que dans ces lieux où la vie publique est mise en avant, célébrée et ritualisée. La rue y est un espace de vie à part entière, comme dans les villes méditerranéennes. Cette approche de l'espace public est très différents dans les capitales du nord où la rue tient le plus souvent un rôle fonctionnel plus pragmatique.

Une typologie latine de l'intériorité : l'îlot
La typologie du bâti parisien confirme cette filiation méridionale. Les immeubles organisés en îlots fermés, avec leurs cours intérieures petites et profondes, présentent de logiques plus proche des tissus urbains Milanais, Turinois, Madrilène ou Barcelonais que Londoniens ou Berlinois.




Les cours intérieures et les passages, en particulier les passages couverts, nés à Paris mais inspirés des galeries italiennes ou traboules Lyonnaises sont l’expression d’un mode de vie et de déambulation au cœur des ilots propre à la ville dense.
Quant aux volets et persiennes, omniprésents dans la ville, ils appartiennent à la culture méditerranéenne : instruments de gestion de la lumière et de l’intimité, ils sont totalement absents des pays du nord. Leur présence massive à Paris est un signe clair : la ville pense et habite ses façades dans des logiques propres à l'Europe du sud.


Paris, une ville de l'Europe "médiane" nourrie par la méditerranée.
Ce qui rend Paris unique n’est pas sa localisation sur la carte de France, mais l’héritage latin qui structure ses rues, son architecture, sa sociabilité et son organisation urbaine. Paris n’a rien d’une capitale du Nord-ouest comme elle est souvent présentée. Elle partage avec les grandes villes du Sud de l'Europe une densité intense, un urbanisme composé, des places théâtrales, des boulevards de promenade, une architecture protectrice et expressive.
Paris n’est pas seulement héritière de Rome par la langue ou le droit : elle l’est aussi par la forme même de sa ville et par les modes de vie qui y sont associés. Elle est, au fond, une sorte de ville "méditerranéenne" qui se serait égarée un peu trop au nord.
Elle l’a toujours été, et peut-être ne s’en est-elle jamais vraiment rendu compte ?



Commentaires