« Nos ancêtres les Gaulois »? Vraiment ?
- Luc Delmont
- 17 déc. 2021
- 8 min de lecture

Lorsque l'on affirme que la France est un pays latin, l’objection que l’on s’attend automatiquement à recevoir est que la France ne le serait pas vraiment car elle se distinguerait profondément des autres de par son identité ethnique "celtique", supposée être fondamentalement différente de l'ethnicité des Italiens, des Espagnols ou des Portugais.
Depuis le 19ème siècle, Nous avons tous été bercés au son de « nos ancêtres les Gaulois ». Que ce soit dans les anciens livres d’histoire, ou, de façon plus pernicieuse, par l’imprégnation d’une certaine culture populaire véhiculée notamment par la célébrissime bande dessinée « Astérix le Gaulois », mettant en scène des stéréotypes nationaux français transposés dans une Gaule imaginaire.
Au fond de nous, nous savons que nous n’avons hérité ni de la langue des Gaulois (les Gaulois parlaient des langues celtiques), ni de leur culture ou de leurs modes de vie, qui ont été romanisés depuis bien longtemps. Cependant, nous avons tous plus ou moins consciemment intégré le fait qu’il s’agirait du « peuple autochtone » de la France, garant de la continuité historique éternelle. Les Gaulois seraient un peuple homogène qui aurait traversé les âges en retenant une identité profonde, en nous transmettant son âme et son esprit national, par le biais d'un lien généalogique traversant les siècles et se poursuivant après la romanisation.
Un mythe fondateur toujours vivant
A l’évocation du mot « Gaulois », vient immédiatement dans les esprits de chacun une charge identitaire, voire une émotion nationaliste dans le sens ethno-génétique du terme. Dans la culture populaire, e d'ailleurs tout autant dans des milieux ethno-nationalistes que chez les indigénistes décoloniaux, il est devenu habituel de qualifier les français « blancs » de Gaulois, que ce soit de façon péjorative, ou au contraire comme symbole d’une fierté ethno-identitaire d’extrême droite.
Ceci est particulièrement notable dans le discours de personnes qui présentent une approche racialiste, qu’elle soit d’extrême-gauche indigéniste, ou d’extrême-droite ethno-nationaliste. Selon ces vues provenant des deux extrémités de l’échiquier politique, qui finalement se rejoignent sur ce point comme sur de nombreux autres, il existerait de toute évidence dans notre pays un peuple historique existant depuis toujours, et celui-ci aurait les traits que l’on attribue au « peuple Gaulois » dans l’imaginaire collectif. La seule différence est que pour les uns, il constitue un contre-modèle avec lequel il faudrait s’opposer, et que pour les autres, leurs supposés descendants représenteraient les seuls français véritablement légitimes sur le territoire.
Or, comment est représenté ce « peuple originel » Gaulois dans le roman national officiel depuis le 19ème siècle ? Que ce soit dans nos livres d’histoire ou dans Astérix, les Gaulois sont immanquablement qualifié de peuple « celtique ». Il est généralement assumé que ce peuple serait génétiquement et culturellement homogène, en étant habituellement représenté comme possédant des caractéristiques ethniques et culturelles propres au monde païen d’Europe du nord. Peu de Français, y compris "de souche" correspondent à cette image d'Epinal.

Sur les illustrations qui ont bercé notre enfance, nous avons été habitués à voir présenter comme étant « nos ancêtres », des personnages plutôt blonds, roux, portés sur des boucliers (tradition germanique), vivant un mode de vie de quasi chasseurs-cueilleurs et vivant dans des petits villages faits de cases de chaume.
Cette idée est si profondément ancrée dans notre imaginaire collectif qu’il est quasiment impossible de la remettre en question. Le simple fait de s’interroger sur le bien-fondé de l’affirmation « nos ancêtres sont les Gaulois » relève pour certains d’un véritable affront au sens patriotique, ou d’une traitrise à la nation. Comme si, pour nombre d’entre nous, il y avait une fusion complète entre le fait d’être Français, dans le sens moderne du terme, et le fait d’être « Gaulois ».
Etant donné la façon dont sont décrit ces « ancêtres », il est facile pour certains d’associer ainsi ces caractéristiques physiques plutôt nord-Européennes avec la revendication d’une légitimité à être un « vrai français », car supposé descendre de ces Gaulois d'apparence "nordique".
Pourtant, il est légitime de se demander si cette construction du mythe national français fondé sur le peuple Gaulois est non seulement historiquement, ethniquement ou génétiquement juste, mais il est aussi intéressant de se demander s’il est toujours pertinent de s’appuyer dessus en 2021.
Porté au XIXème siècle par la IIIème république, le mythe fondateur mettant en scène les Gaulois comme peuple originel des français est une invention plutôt récente. Auparavant, en dehors de certains milieux érudits, peu de gens avaient connaissance de ces peuples. En réalité, il n’y a jamais eu une nation Gauloise unique mais des dizaines de peuples distincts et souvent rivaux, que les Romains avaient tous arbitrairement qualifiés de « Gaulois » lors de la conquête de -52.
La Gaule, un concept essentiellement géographique
Pour les Romains, le concept de « Gaule » était avant tout une notion géographique à visée guerrière. Il s’agissait ainsi de désigner, de façon assez arbitraire, l’ensemble des territoires qui se situent entre le Rhin, l’océan Atlantique et les Pyrénées. Cet immense ensemble, couvrait non seulement toute la France actuelle, mais aussi le nord de l’Italie, l’essentiel de la Suisse, le sud-ouest de l’Allemagne, la Belgique et le sud des Pays-Bas.

Etant donné l’étendue et la diversité de ces territoires, il n’est pas surprenant que ceux-ci aient recouvert une multitude de populations très différentes entre elles. Les Gaulois, dans le sens qu’en donnaient les Romains, d’ailleurs, n’étaient pas tous des peuples Celtiques.
Dans le recueil « la Guerre des Gaules », Jules César dresse un portrait très diversifié des différentes populations vivant en Gaule. Certains peuples sont effectivement qualifiés de « celtiques », du fait de leur pratique de langue de même famille linguistique et d’un certain nombre de caractéristiques culturelles communes, d’un certain type d’organisation sociale et d'une culture matérielle spécifique.
Mais il existait aussi sur le territoire des Gaules d’autres peuples, totalement distincts des celtes, comme les Aquitains, qui vivaient dans le sud-ouest de la France actuelle (La région de la Gascogne, au sud de la Garonne), et dont les langues étaient les ancêtres du Basque actuel. Au nord de la Seine et jusqu’au Rhin, vivaient les Belges, que les Romains ont décrits comme des peuples possédant des caractéristiques culturelles tantôt proches des Celtes, tantôt proches des populations germaniques vivant à l’est du Rhin. Selon les écrits de César, les Gaulois Belges menant un mode de vie plus rustique, moins urbain que les peuples Gaulois de culture Celtique.
Des peuples de Gaule plus méditerranéens que l'on croit
Dans le sud méditerranéen, qui a été romanisé un siècle avant les autres parties de la Gaule, cohabitaient visiblement des peuples non celtiques, notamment des Ibères et des Ligures auxquels se sont ajouté quelques tribus Celtes en provenance d’Europe centrale. Par ailleurs, d’importantes colonies grecques ont été fondées à partir de -600 avant JC le long du littoral méditerranéen. Plusieurs siècles avant la romanisation, la culture grecque s’est ainsi implantée autour de la plus ancienne ville française, la colonie Phocéenne de Massalia (Marseille), ainsi que dans l’intérieur de la Provence (Nice, Antibes, Olbia (proche de Hyères), Agde, Glanum (proche de Saint Rémy de Provence), etc.

Le monde Grec, 4 siècles avant Rome, a établi des colonies tout autour du bassin méditerranéen. Dès le 6ème siècle avant JC, le littoral méditerranéen français est fortement hellénisé autour de la colonie de Massalia. Cette colonisation exercera une influence majeure sur les peuples autochtones, Ligures et Celtiques, y compris dans des contrées les plus septentrionales.
Dans la Gaule pré-romaine, depuis Massalia et ses colonies, la culture et la civilisation grecques ont profondément pénétré le territoire. Les différents peuples de Gaule celtique n’ont jamais développé d’écriture, du fait d’interdits religieux. En contact rapproché avec les grecs du littoral méditerranéen, les Gaulois ont alors appris à faire usage de l’alphabet Grec pour écrire leur langue, faisant pénétrer des éléments de culture Héllénique au-delà des régions méditerranéennes au sens strict du terme. C’est notamment en leur contact que les peuples de Gaule ont développé un goût pour le vin (contrairement à l’imaginaire véhiculé par Astérix, qui dépeint les Gaulois comme uniques amateurs de cervoise), aujourd’hui part emblématique de l’identité française. D’une certaine façon, les Grecs ont préparé le terrain pour l’arrivée des Romains, plusieurs siècles avant eux. Les Grecs ont établi des ports et des comptoirs le long de la côte méditerranéenne, tandis que les Romains ont tissé en parallèle un réseau de routes et d’agglomérations s’enfonçant dans les arrière-pays.
L’évolution importante des connaissances en matière archéologique a permis de clarifier un certain nombre d’idées préconçues sur les peuples vivant en Gaule. Loin d’être constitué de peuples de chasseurs-cueilleurs païens semi-nomades vivant dans des villages de paille, les peuples qui occupaient ces territoires étaient fortement sédentarisés depuis des millénaires, organisés autours de villes-état (Oppidae), comme cela était le cas dans le reste du bassin méditerranéen.
Loin d'être tous de culture celtique, les habitants de la Gaule formaient ainsi en réalité plusieurs aires culturelles distinctes, dont les peuples de culture Celtique formaient cependant la plus grande part. Il faut bien comprendre que ces "Celtes" formaient, non pas un peuple dans le sens ethno-génétique du terme, mais une civilisation. Était désigné comme « Celte », toute personne appartenant à une culture ayant des caractéristiques propres au monde celtique, sans que cela laisse supposer des caractéristiques génétiques particulières.
Cette civilisation celtique n’était pas « autochtone », elle n'était pas originaire de ces territoires. Les Celtes étaient une civilisation ayant initialement pour cœur historique les régions Danubiennes d'Europe centrale situées au nord des Alpes (actuelle Allemagne du sud, Suisse, Autriche). Comme de nombreuses autres avant, et à l’instar de la civilisation romaine après eux, cette culture a pris racine sur une partie des territoires qui forment aujourd’hui la France, s'installant progressivement entre -800 et -50 avant JC, c’est-à-dire sur une période relativement courte à l’échelle de l’histoire de notre pays.

Le cœur de peuplement Celtique correspond à l’espace d'Europe Centrale au nord des Alpes. Les seules régions de France à faire partie de ce cœur historique sont les régions du nord-est : actuelles Alsace, Lorraine, Franche-Comté. A partir de ce noyau historique, la civilisation Celtique s’est ensuite développée dans toutes les directions. Vers l’est le long du Danube, et jusqu’en Anatolie (Turquie actuelle), et vers l’ouest, vers les îles britanniques, vers la France actuelle, vers l’Espagne, le Portugal et au sud vers l’Italie du nord.
Il est difficile de croire que ce développement rapide ait été lié à la seule poussée migratoire. Par analogie avec ce qui se passera avec la conquête Romaine, nous pouvons vraisemblablement croire qu’il n’y a pas véritablement eu de remplacement génétique des populations autochtones par les Celtes, mais probablement plutôt une acculturation accompagnée d’un métissage au sein d'élites dirigeantes.
Avant la colonisation Gauloise/Celtique, les territoires de notre pays étaient déjà densément peuplés par ceux qui étaient nos ancêtres de bien plus longue date : Les peuples descendants des premiers agriculteurs du néolithique ayant migré d’Anatolie et du Proche-Orient vers l’Europe il y a 9 000 ans.
Parmi ces peuples, les Vascons dans le sud-ouest ont su résister aux envahisseurs Celtiques et nous léguer aujourd’hui une des langues les plus anciennes d’Europe, le Basque. Nous savons que d’autres peuples pré-celtiques ont existé sur notre territoire avant leur "celtisation". Par exemple les Ligures dans le sud-est, et ailleurs, toute une série d'autres peuples méditerranéens du néolithique ont peuplé nos territoires avant d'adopter la culture des Celtes, puis des Romains.

Bien que nous ne connaissons pas le nom de tous ces peuples, nous savons qu'ils ont existé, ils nous ont légué les plus anciennes constructions implantées sur notre territoire national.
Contrairement à la croyance populaire, les nombreux menhirs et dolmens répartis sur toute la France n’ont rien avoir avec les Gaulois : ces constructions mégalithiques, précèdent l'arrivée des Celtes sur le territoire de plusieurs milliers d’années.
Si nous voulons à tout prix nous trouver des « ancêtres » pourquoi ne pas prendre en compte ses anciennes populations du néolithique d'origines méditerranéennes qui constituent la majorité de notre ADN, plutôt que de nous identifier exclusivement aux Celtes ?

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