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contre la « France moche » : réinstaurer la culture de la beauté 

  • Luc Delmont
  • il y a 15 heures
  • 6 min de lecture

 


Il suffit de traverser la France en train, en voiture ou même à pied pour constater une évidence dérangeante : quelque chose dans notre pays s’est profondément dégradé.


Non pas seulement sur le plan économique ou social, mais dans l’apparence même du territoire, dans l’environnement quotidien que nous partageons. Ce que l’on appelle aujourd’hui « la France moche » n’est pas un slogan, mais une réalité visible, banale, vécue quotidiennement par des millions de français, et de plus en plus acceptée comme une fatalité, comme si c’était quelque chose de normal.



Le plus frappant, c’est surtout que cette tendance n’est pas générale. Elle est même en contradiction avec une autre évolution opposée : Il y a des espaces urbains ou naturels, qui, au contraire, ce sont considérablement améliorés, soignés et protégés.


Que ce soient des monuments nationaux majeurs, comme le Mont Saint Michel ou le Pont-du-Gard dont les aménagements ont permis une meilleure intégration du tourisme massif, une meilleurs gestion des nappes de stationnements sauvages. Dans certains quartiers de centre-ville, les espaces publics ont été requalifiés, rendus aux piétons, végétalisés, ont retrouvé des terrasses et des animations. C’est aussi le cas d’espaces naturels, de nouveaux Parcs Naturels qui ont vu le jour, et, parfois permis une renaturation et revalorisation du patrimoine naturel.


Il ne s'agit pas de dépeindre un tableau exagérément négatif, mais rappeler qu'en parallèle, en dehors de ces espaces particuliers, des pans entiers du pays se retrouvent qui se retrouvent dans un paysage banalisé dans lequel le processus d'enlaidissement se poursuit, et, souvent, s'accélère.

 


Un territoire morcelé, enlaidi, standardisé


La transformation du paysage français a été brutale en quelques décennies. À partir des années 1960, l’urbanisation s’est accélérée sur un modèle de rupture urbanistique et sociétale, souvent sans véritable vision d’ensemble permettant une assimilation cohérente de cette nouvelle « modernité ». 


Après des décennies, les entrées de villes, sont aujourd’hui souvent submergées par les panneaux publicitaires, les enseignes lumineuses, les parkings interminables, d’immenses zones commerciales de tôle plantées au gré des opportunités « au coup par coup » dans une logique de concurrence visuelle. 



Les périphéries s’étalent en continuité avec ces zones, mêlant entrepôts logistiques, lotissements standardisés, ronds-points stériles, et réseaux routiers sans hiérarchie ni beauté.


Même les campagnes sont affectées. Là où dominaient les éléments paysagers structurants de la vie rurale : bosquets, haies, murets, hameaux, on voit désormais parfois se dresser des hangars métalliques disproportionnés, des clôtures incohérentes, des pylônes, des lignes haute tension, des panneaux de signalisation en surnombre. La technostructure s’impose, le plus souvent sans souci d’esthétique ni d’ancrage. Là encore, les secteurs protégés, ou l’avis d’un Architecte des Bâtiments de France s’impose, font figure d’exceptions à la tendance dominante.



Mais l'enlaidissement ne se limite pas à une banalisation et mercantilisation du paysage, mais aussi, et de plus en plus, à un laisser-faire généralisé,


Le plus inquiétant est que cette esthétique pauvre envahit aussi les espaces naturels encore magnifiques. Les Calanques, les Gorges du Verdon, la Camargue, les bords de Loire, les vallées pyrénéennes : aucun site n’est à l’abri de l’enlaidissement. Il suffit d’une gare abandonnée, d’une ancienne ferme en ruine, d’un pont SNCF, un mur anti-bruit, un rocher en bord de mer deviennent aussitôt des supports de marquage visuel, tags, publicités, pollution graphique… de négligence collective.


 

Explosion des tags et banalisation du vandalisme visuel


Le phénomène le plus marquant de ces dernières années est la prolifération incontrôlée des tags et graffitis, qui colonisent tout ce qui peut servir de support : tunnels, transformateurs, abribus, palissades, trains, façades publiques. Ce n’est plus un fait urbain limité à certains quartiers en déshérence comme cela pouvait l'être dans les années 1990 ; c’est une colonisation visuelle de l’ensemble du territoire, y compris dans les zones naturelles protégées que l'on croyait hors d'atteinte.



L’ampleur du phénomène est confortée par un discours de légitimation : sous prétexte de « street art », on évacue toute critique au nom de l’expression artistique. Comme si tout acte d’écriture sur l’espace public, dès lors qu’il s’auto-proclame créatif, devenait intouchable. Pourtant, tous ces tags ne sont pas des œuvres d'art, loin de là : ce sont des signatures illisibles, agressives, souvent insultantes… des codes internes, des marques de territoire ou de provocation, imposées à tous sans demande ni consentement.




Refuser cette pollution visuelle n’est ni réactionnaire ni élitiste, au contraire. C’est revendiquer un droit fondamental au calme visuel, à l’harmonie collective. Un tag, un graffiti, aussi bien réalisé soit-il, ne peut être imposé sans débat à un espace commun. Dans une société démocratique, la liberté d’expression n’a de sens que si elle respecte aussi la liberté de ne pas subir des agressions sensorielles.


 

L’effacement progressif de la notion du beau, de l’élégance, de l’harmonie, notions pourtant centrales dans notre culture latine


Ce déclin n’a pas surgi brutalement. Il s’est infiltré dans nos vies par petites touches, jusqu’à devenir normal. Il suffit de comparer avec ce qu’était encore la France dans les années 1980 pour mesurer l’ampleur du changement.


Les entrées de ville étaient marquées par une transition douce entre campagne et bourg : de petits commerces, des maisons bordées de haies, des perspectives dégagées. Aujourd’hui, elles sont dominées par les hypermarchés, les enseignes géantes, les ronds-points bardés de signalétique.


Les centres-bourgs, autrefois animés, vivants, porteurs d’une unité architecturale, sont devenus des lieux vides, parfois sinistres. Les vitrines fermées, les matériaux bon marché, les rénovations bâclées détruisent ce qui faisait leur charme.


Même les paysages ruraux, longtemps préservés, ont été gagnés par une forme d’industrialisation visuelle. Les routes sont envahies de panneaux, de zones d’activité, de constructions sans souci d’intégration. Et parfois, les éoliennes, implantées en dépit du bon sens esthétique sur des lignes de crête ou au cœur de plateaux magnifiques, imposent un horizon mécanique, uniforme, technique.


Même les écoles, les lieux d’apprentissage et de formation du regard, sont souvent banalisées : grillages industriels, classes en préfabriqués, cours en enrobés, tags dès la maternelle… Et surtout, on n’y éduque plus à la beauté, ni à l’harmonie, ni au soin du bien collectif.

 


Un enjeu social majeur : ne pas laisser le beau aux seuls privilégiés


Il est urgent de comprendre que le beau n’est pas qu’une affaire d’urbanisme ou de goût, ou de snobisme élitiste, mais un problème politique, culturel, et social majeur. La gauche devrait comprendre qu'il ne s'agit pas d'une revendication conservatrice à déconstruire.


Ce n’est pas non plus une simple préoccupation cosmétique d’une bourgeoisie nostalgique. 

Car ce recul creuse une fracture invisible mais réelle : celle entre les territoires laissés à la laideur, au bruit, à l’abandon, et ceux qui, par privilège ou par chance, restent beaux, calmes, soignés.


Le risque est clair : un pays à deux vitesses, où les élites peuvent vivre dans des quartiers préservés, voyager vers les derniers sites intacts, pendant que la majorité est condamnée à évoluer dans un cadre dégradé, agressif, déshumanisé.



Le beau ne doit pas être un luxe. Il doit redevenir un droit partagé pour tous.

 

Revenir au beau : pistes pour un sursaut collectif

Pour rompre avec cette fatalité, des solutions existent. Mais elles demandent du courage politique, une clarté culturelle et une volonté collective.


1. Lutter fermement contre le vandalisme visuel

  • Distinguer clairement les projets artistiques encadrés du vandalisme illégal.

  • Appliquer la loi face aux dégradations, sans céder à la peur d’être accusé de conservatisme.

  • Restaurer les surfaces taguées systématiquement pour envoyer un signal clair : le désordre visuel n’est pas une fatalité

 

2. Réintégrer le beau dans les politiques publiques


  • Des évolutions nécessaires dans les écoles d'architecture pour passer d'une culture architecturale "nombriliste" centrée sur l'architecte en tant qu'artiste créateur libre à une notion de l'architecture au service des habitants et usagers.

  • Réintroduire l'idée que, même si la beauté comporte une part de subjectivité, il existe aussi des notions objectives d'harmonie, de beauté, de respect du contexte.

  • Mettre en place un plan national de réhabilitation esthétique des espaces dégradés, ne se limitant pas aux éléments à forte valeur patrimoniale : les infrastructures de transports (ferroviaire, autoroutes, etc.) revêtent un importance particulière : fréquentées par des millions de personnes mettent souvent en scène sur des grands linéaires des abords dégradés, peu qualitatifs visibles de tous.

 

3. Éduquer au beau dès le plus jeune âge


  • Réintroduire l’enseignement de l’histoire de l’art, du paysage, de l’architecture dans les programmes scolaires.

  • Multiplier les expériences sensibles : sorties, visites, rencontres avec des protecteurs du patrimoine, mise en valeur des lieux inspirants.

 

4. Faire du beau un enjeu social, pas un privilège culturel


  • Créer des quartiers sobres, apaisés, harmonieux, aimables, non pas pour flatter une élite, mais pour rendre la vie plus digne à tous.

  • Considérer que l’accès au beau est aussi vital que l’accès à la santé, à l’éducation ou à la sécurité.

 


Défendre le beau, c’est défendre un bien collectif essentiel au vivre ensemble


Il ne s’agit pas nécessairement de rêver à un retour à un passé idéalisé, mais de réarmer culturellement notre regard. De cesser de tout relativiser. De retrouver une exigence, une ambition, une fierté collective de vivre dans un beau pays.


Le beau ne doit pas diviser : au contraire il rassemble autour d’une fierté commune d’appartenir à un territoire aimant et aimé. Il apaise, il élève, il donne envie de respecter, d’habiter mieux, de vivre ensemble harmonie.


C’est en osant dire que certains lieux sont devenus laids, et que d’autres méritent d’être protégés, que nous rouvrirons un débat vital.


.


Et sa reconquête pourrait bien être un des chantiers culturels et sociaux le plus urgent pour la France d’aujourd’hui tant il est nécessaire pour réapprendre à vivre ensemble.

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