L’île de Ré : un îlot de Méditerranée perdu dans l'Atlantique ?
- Luc Delmont
- 11 juil.
- 7 min de lecture
Et si l'Europe du sud commençait plus au nord qu’on ne le pense ?
" En ces temps de congés estivaux, le besoin de vacances et de décontraction justifie une thématique plus légère… une bonne occasion de redécouvrir la France et de mieux la comprendre"
L’étonnante "méditerranéité" d’une île de l'Atlantique
Pour un voyageur venant du Nord de l’Europe, à peine franchi le pont, l’île de Ré semble ouvrir les portes d’un ailleurs inattendu. Là, au cœur de l’Atlantique français, le visiteur étranger est parfois saisi par une impression surprenante : celle d’avoir basculé plus tôt que prévu dans un sud discret, lumineux, quasiment méditerranéen.




Tout y concourt. Les villages blancs aux murs chaulés, leurs volets colorés verts ou bleus, les toits de tuiles canal partout, les ruelles étroites, et cette lumière blanche forte et vibrante qui inonde les façades.
Les forêts de pins maritimes et de pins parasols, les figuiers accrochés aux jardins, les mimosas, les lauriers roses en fleur au bord des murs, les jardins ponctués de palmiers et plantes subtropicales : tout évoque que l’on entre visiblement dans l’Europe du sud
Même la cuisine y participe : sel marin, huîtres, poisson grillé, légumes secs, et ce vin blanc sec, rosés ou rouges des Fiefs vendéens ou de l’île elle-même, ou le Pineau vin muté d’apéritif pouvant être apparenté aux Riveslates, Banyuls ou Porto.


Sur certaines places ou dans les venelles d’Ars-en-Ré, de La Flotte ou du Bois-Plage, on pourrait se laisser surprendre à se croire dans une île grecque, dans un village catalan, en Camargue, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, voire en Andalousie, tant les marqueurs esthétiques et sensoriels peuvent avoir un air de famille.



L’air y est généralement plus doux, plus salé, plus lumineux. Mais c’est clairement cette ambiance de sud que les visiteurs, notamment venant de Paris ou du Nord de l’Europe recherchent. Une forme de Méditerranée tranquille, mais plus géographiquement plus proche, déplacée de quelques centaines de kilomètres vers le nord-ouest.


Est-ce une anomalie de la géographie, une singularité, un artifice touristique ?
Cette impression, qui surprend tant de visiteurs, n’est pourtant pas une anomalie. Bien qu’elle soit largement cultivée en sur-entretenue par le secteur touristique. Ce que révèle la « méridionalité » de l’île de Ré de façon saisissante, se vérifie bien au-delà, y compris plus au nord, en Vendée, sur L’Ile-d’Yeu ou sur l’ile de Noirmoutier.
Il existe, le long de toute la façade atlantique française, du Pays basque à l’estuaire de la Loire, une culture, une architecture, un type de climat et une histoire de peuplement qui rattachent ce large espace Atlantique à l’Europe du Sud.
Ce n’est pas un hasard si, lorsque l’on souhaite parler des différences Nord/Sud en France, on évoque généralement la Loire comme une limite historique et culturelle.
D’ailleurs, ne nous y trompons pas, la surprise ne vient que si l’on n’a pas complètement les repères géographiques en tête, et que l’on croit, naïvement, que la civilisation « méditerranéenne » ne concerne que les rivages de la Grande bleue au sens strict.

Pour ne pas être étonné, il suffirait pourtant de savoir que L’ile de Ré est située à la même latitude que les lacs Italiens, eux aussi bordées de végétations subtropicale ; ou la Vénétie qui es bordée par la méditerranée (la mer Adriatique plus précisément)
Ce n’est peut-être pas la Sicile, mais cela reste l’Europe du Sud.
Un climat de type "lusitanien" : un intermédiaire climat océanique et méditerranéen
Le climat de cette France Atlantique n’est pas méditerranéen dans le sens strict du terme (même s’il pourrait le devenir dans un contexte de réchauffement climatique) mais il est doux, lumineux, tempéré mais ensoleillé, avec des étés secs pouvant être ponctuellement très chauds, des hivers très doux et courts, et une végétation qui mêle espèces atlantiques et méditerranéennes.
Nous sommes loin du climat océanique « classique » tel qu’on pourrait le trouver en Angleterre, en Irlande, ou même en Bretagne et en Normandie.

C’est ce que les géographes appellent parfois un environnement "lusitanien", en référence à la Lusitanie antique (actuel Portugal). De Bayonne à Noirmoutier, voire au-delà, en passant par les Landes, la Charente, la Vendée, le Poitou, le paysage climatique se rapproche bien plus de celui de Saint Jacques de Compostelle ou Porto que de celui de l’Angleterre, de la Belgique ou du Danemark.
Ce climat permet une culture et un mode de vie proches de ceux de l’Europe méditerranéenne: usage de l’huile d’olive (et même ponctuellement sa culture, de plus en plus présente), culture du figuier, légumes secs, saliculture, viticulture…

Une architecture "méditerranéenne" présente jusqu’à la Loire
La lumière, plus stable et plus franche que dans le nord, façonne ainsi une culture visuelle et architecturale distinctement sud-Européenne.
Cette ambiance architecturale que l’on observe sur l’île de Ré, on le retrouve dans tout le Sud-Ouest atlantique : à Noirmoutier, sur l’île d’Yeu, dans les ports de Vendée, dans les villages du Marais poitevin, à Saintes, à Rochefort, à Royan.
Les mêmes maisons blanches aux tuiles rouges, les cours intérieures, les volets colorés, les rues étroites, témoignent d’une même famille, contrastant fortement et de façon brutale avec l’ambiance de la Bretagne, située un peu plus au nord (colombages, pierre granitique rustique, toits d’ardoise).


Dans nos pérégrinations dans les îles françaises de l’Atlantique pour saisir le contraste et le changement radical d’ambiance architecturale : passer de L’Ile-d’Yeu à Belle-Ile-en-Mer, distantes de seulement 80 km, peut sembler faire un bon entre le nord et le sud de l’Europe.
Cette identité méridionale de l’architecture Atlantique est issue d’un fonds local ancien hérité de l’histoire, adapté au climat, au mode de vie, à la luminosité. Elle partage des éléments communs avec l’Ibérie Atlantique révélant une unité culturelle ancienne.

Ceci n’est sans doute pas complètement un hasard. Si les toitures à tuiles romaines, ancêtres des tuiles canal actuelles, ont remonté la façade Atlantique depuis le bassin méditerranéen avec la Romanisation, c’est principalement au sud de la Loire qu’elles se sont implantées durablement, y compris dans l’architecture vernaculaire des campagnes, ce qui n’a jamais été le cas au nord de la Loire.
Des racines anciennes : Ibères, Vascons, Aquitains
Mais la définition de la Loire en tant que frontière culturelle est plus ancienne encore. Dès la protohistoire, il est peuplé de Vascons, Ibères, Aquitains, dont les langues, les cultures et les pratiques religieuses sont plus proches de celles de la péninsule ibérique que du reste de la Gaule.
Les études génétiques contemporaines confirment encore aujourd’hui cette proximité très nette entre les populations du sud-ouest de la France et celles du nord de l’Espagne, du Portugal ou du Pays basque espagnol. Même les toponymes (terminaisons en -os, -ac, -ès, etc.) reflètent probablement ce substrat pré-indo-européen, distinct du nord, plus marqué par la présence celtique, et, dans une moindre mesure, germanique. A la fin de l’empire Romain, des Francs se sont implantés au nord de la Gaule, mais, comme nous l’indique Grégoire de Tours dans ses écrits, se sont rarement aventurés au sud du fleuve Ligérien.
Avec la romanisation, puis la christianisation, l’Aquitaine conserve son lien avec l’Espace « ibérique », avec des villes anciennes, des réseaux de ports, une agriculture mixte, des coutumes partagées avec l’Espagne et le Portugal (y compris les arts Taurins), la présence de la langue Basque lointain témoin de la présence des langues Aquitaines pré-Indo-Européennes qui s’entendaient bien au-delà du Pays Basque actuel.
Après la chute de Rome, les Wisigoths s’emparent de la péninsule Ibérique et de l’Aquitaine, là encore, jusqu’à la Loire. Ce n’est pas un hasard puisqu’il s’agissait d’un espace culturel cohérent.
Même au Moyen Âge et à l’époque moderne, les échanges commerciaux, maritimes et culturels se font souvent vers le sud, via Bordeaux, La Rochelle ou Bayonne, et le nord de l’Espagne ; souvent plus qu’avec l’intérieur du continent.
Au moyen-âge, la ligne de démarcation entre Langue d'Oïl et langue d'Oc était bien plus au nord qu'aujourd'hui, et englobait totalement le Poitou et les Charentes.
Aujourd’hui encore, la gastronomie, les rythmes sociaux, la valorisation du temps long, la centralité de la table, le sens festif rapprochent le grand sud-ouest de la péninsule ibérique, bien plus que de l’Angleterre, avec laquelle il y a pourtant eu une longue histoire de luttes et de conquêtes.
La majeur partie de la façade atlantique française fait partie de l'Europe du sud
Ce que l’on croit parfois réservé à la Méditerranée, la blancheur des villages, la douceur du climat, la cuisine du sel et du soleil, l’ancrage ancien dans le sud de l’Europe, se retrouve aussi sur les rivages atlantiques de la France, non seulement au Pays basque ou en Gascogne, mais aussi, hors de l’aire occitane actuelle, de la Gironde à la Loire.
L’île de Ré n’en est que l’un des points d’entrée touristiques les plus visibles
Redécouvrir cette réalité, c’est changer notre regard sur la géographie culturelle de la France. Et c’est surtout comprendre que, que ce soit en méditerranée ou sur la façade Atlantique, une grande partie de notre pays fait clairement partie de l’Europe du Sud, non seulement linguistiquement ou culturellement, mais aussi géographiquement et climatiquement.



Commentaires