Ramblas, paseos, cours… des espaces publics méditerranéens pour revitaliser la ville de demain
- Luc Delmont
- 10 juil.
- 5 min de lecture
Dans un contexte de réchauffement climatique, de mutation des mobilités et de redéfinition de l’espace public, certaines formes urbaines historiques retrouvent une pertinence inattendue. Les boulevards, ramblas, cours, ou mails – présents dans leur forme plus aboutie surtout dans les pays d'Europe latine, notamment en France et en Espagne – incarnent une ville à la fois fonctionnelle, ombragée, conviviale et adaptable.
Héritages de l'urbanisme des 18 et 19èmes siècles, ils pourraient bien, après avoir été vidés de leur vocation et livrés à l'automobile durant un grande partie du XXème siècle, reprendre leur signification originelle face aux enjeux du XXIème siècle.
L'histoire morphologique du Boulevard : quand la ville se libère de ses murs
Les boulevards, dans leur acception urbaine, émergent en Europe à partir du XVIIe siècle, mais se généralisent surtout aux XVIIIe et XIXe siècles, avec la démolition progressive des enceintes militaires. Celles-ci, devenues obsolètes à cause de l'artillerie, laissent place à des ceintures de terre ou de pierre disponibles pour de nouveaux usages. En France, on transforme ces emplacements stratégiques en voies de promenade et de circulation, souvent arborées et plantées d’alignements réguliers. Le mot même « boulevard » dérive du néerlandais bolwerk (bastion).

Mais contrairement à une idée reçue, originellement le boulevard n’est pas qu’une rue large dédiée à la circulation. Dans sa forme typique, il s’agit d’un espace multiple, généralement structuré par :
Une géométrie claire et structurée, accompagnée d’une architecture régulière
une double voire triple rangée d’arbres (ou plus).
un large espace piétonnier (lieu de flânerie, de rencontre, de marché),
des voies de circulations, parfois centrales mais pouvant être aussi latérales (contre allées pour la desserte locale),

Cette grande famille d'espaces publics, malgré ses multiples variantes et évolutions se distingue pourtant fortement dès l’origine de la rue fonctionnelle classique par sa vocation sociale, piétonne et paysagère.
En Espagne, de nombreux boulevards arborés ont été développés suite à la mise en oeuvre du de "l'eixample", vaste projet d'extension urbaine de la Ville de Barcelone initiée par l'architecte Idelfonso Cerda à la même époque que la création des grands Boulevards Haussmanniens de Paris.

On retrouve ailleurs en Europe méditerranéenne des espaces publics similaires dans leur usage et leur forme, mais si leur histoire peut être un peu différente des Boulevards Parisiens.
En Espagne, les ramblas sont aménagées souvent sur d’anciens lits de torrents intermittents (ramblas), devenus axes piétonniers centraux, comme l’illustre la célèbre Rambla de Barcelone.

En Provence ou dans le sud de la France, les cours (comme le cours Mirabeau à Aix) reprennent le même principe de centralité possédant une forte dimension de promenade piétonne, arborée et commerçante.

Pourquoi ces formes sont-elles surtout présentes dans le sud de l’Europe ?
La prédominance de ces formes dans le sud-ouest de l’Europe (France, Espagne, mais aussi Italie et Portugal dans une moindre mesure) tient à des facteurs combinés,
a. La démolition des fortifications transformée en infrastructure civique
Dans ces pays, les villes ont souvent choisi de convertir les anciennes enceintes en boulevards plutôt qu’en parcs. À Paris, Lyon, Toulouse, Montpellier ou Bordeaux, on assiste à la naissance de boulevards ceinturant le centre historique, devenus rapidement des lieux de circulation mais aussi supports d'une de vie urbaine ombragée.
À l’inverse, dans les pays plus au nord (Royaume-Uni, Allemagne, pays scandinaves), la disparition des remparts a souvent donné lieu à de grands parcs urbains (comme les ring-parks de Vienne ou les grünen Gürtel allemands) — des formes plus périphériques que structurantes de la vie urbaine.
A Barcelone ou Paris, les Boulevard arborés ou ramblas sont devenues des pièces urbaines majeures du centre-ville, supports de la vie urbaine de ces villes.
b. Un climat propice à la vie urbaine extérieure
La douceur du climat méridional favorise des formes extérieures, perméables, sociales. Lieu de promenade, de marché, de terrasse ou de simple repos à l’ombre, ces formes sont conçues pour accueillir l’intensité urbaine dans l’espace public, tout au long de l’année.
Cependant, même dans les régions plus fraiches du centre ou du nord de la France, cette culture de l'espace public a permis l'émergence de ce type de formes urbaines.


c. Une culture de la lenteur et de la centralité habitée
Les ramblas, cours et boulevards incarnent une culture du temps lent, de la flânerie, où la rue n’est pas un simple corridor de déplacement mais un lieu habité. Cette philosophie urbaine valorise la présence humaine dans la ville autant que sa fonction.


3. Une forme à réinventer : réponse aux enjeux contemporains
a. Un outil de rafraîchissement urbain
Dans une ville confrontée au réchauffement climatique, la forme du boulevard planté est une réponse efficace. Les alignements d’arbres fournissent ombre, évapotranspiration, captation de CO₂, tout en diminuant les îlots de chaleur. Le mail central permet d’y intégrer végétation, eau, brumisation, jeux d’enfants, etc. Un urbanisme du confort thermique collectif, particulièrement pertinent en période estivale.
b. Une infrastructure pour les mobilités douces
Le boulevard permet une hiérarchisation souple des usages : trottoirs, pistes cyclables, voies bus, circulations apaisées. Il offre la possibilité d’un partage d’espace clair, sans congestion, et souvent adaptable dans le temps. Dans le cœur des villes, ces larges artères sont des axes structurants pour les réseaux de mobilités douces, bien plus sûrs et agréables que les rues classiques.
c. Un espace public multifonctionnel et intensément vivant
Qu’il accueille un marché, une fête populaire, une manifestation, une terrasse ou simplement des bancs et des promeneurs, le boulevard est un espace public disponible et vivant. Il incarne une ville partagée, où les formes de sociabilité peuvent se redéployer. C’est un antidote à la privatisation rampante de l’espace public.

Aménagée à la place d’une ancienne autoroute urbaine et d’un fleuve canalisé, la Promenade du Paillon peut être considéré comme une réinterprétation à grande échelle de la rambla, dans le sens étymologique du terme, entre mail piétonnier et jardin linéaire traversant le cœur de Nice.
d. Une armature écologique pour la ville de demain
Requalifiés en trames vertes ou bleues, les boulevards peuvent jouer un rôle écologique majeur : connexion entre parcs, corridors de biodiversité, infiltration des eaux, plantation massive. Ce sont des infrastructures vertes en puissance, au croisement de l’urbanisme, de l’écologie et de la santé publique.




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