volets, persiennes, jalousies... un mode de vie méditerranéen en réponse aux évolutions climatiques
- Luc Delmont
- 26 juin
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 août

Il y a, dans les rues du Sud, un ballet quotidien que seuls les habitants semblent remarquer. Au matin, les volets claquent, grincent, s’ouvrent à demi. À midi, ils se ferment avec lenteur, laissant passer un filet d’air mais arrêtant la lumière. Puis, à la tombée du jour, ils se rouvrent, comme des paupières qui guettent le retour de la fraîcheur. Ce petit théâtre de bois ou de métal, si banal dans les paysages méditerranéens, en dit long sur une certaine manière d’habiter le monde. Il parle d’intimité, de chaleur, de lumière, de regard — et de résilience positive.
Un art discret de se soustraire au monde sans s’en isoler
Dans les pays du Sud de l’Europe, l’habitation participe de la rue, du village, de la communauté, mais elle protège férocement une chose précieuse : l’intimité. Non pas celle qu’on enferme derrière des murs épais, mais celle qu’on module, qu’on filtre, qu’on expose ou dissimule selon l’heure, la saison, l’humeur.
C’est là que le volet entre en scène. Il n’est pas seulement un objet fonctionnel, ou décoratif, un dispositif de fermeture. Il est une interface vivante entre dedans et dehors, un rideau social. Les volets français, se déclinant chacun à leur façon région par région s’ouvrent à la lumière tout en masquant les regards. Les persiennes espagnoles, à lames inclinées, laissent passer l’air mais brouillent la vue. Les jalousies, dont le nom vient justement du désir de voir sans être vu, racontent une culture du demi-regard, de la pudeur ouverte, de la présence discrète.

L’intimité comme négociation avec l’espace public
Ce souci d’intimité n’est pas le signe d’un repli sur soi, bien au contraire. Il va de pair avec une vision de l’espace public. Dans l'Europe du sud au sens large, la rue n’est pas un lieu de passage ; c’est un lieu de vie. On y converse, on y joue, on y débat. L’espace collectif est un espace de vie, une extension de l'habitat, et c’est peut-être pour cela que la maison s’entoure de volets : pour garder un équilibre entre l’exposition et le retrait, entre le lien et la distance.
Là où, Dans l'Europe du Nord, on laisse le plus souvent les fenêtres nues, comme aux Pays-Bas, où l’intérieur s’offre au regard du passant dans une transparence presque morale, ou en Angleterre ou les bow-windows exposent l'intérieur vers l'extérieur, l'habitat de la moitié Sud revendiquent le droit au secret. Cela ne les empêche pas d’être hospitalières. Mais elles exigent qu’on puisse choisir quand et comment se montrer.

Un savoir ancien face à l'augmentation des températures
Aujourd’hui, ce jeu subtil entre ombre et lumière, entre ouverture et protection, prend un nouveau sens. À l’heure où les températures grimpent et où les villes suffoquent, le volet méditerranéen devient un outil précieux pour affronter le changement climatique.
Car ces volets ne sont pas là que pour cacher. Ils rafraîchissent sans bruit, sans énergie, sans technologie sophistiquée. En se fermant à midi, ils bloquent l’entrée directe du soleil, évitant que la maison ne se transforme en four. En s’entrouvrant la nuit, ils permettent à l’air plus frais de circuler, d’évacuer la chaleur accumulée dans les murs. Des études récentes en Espagne ont montré que ce simple geste — fermer ses volets au bon moment — pouvait réduire de moitié les besoins en climatisation. C’est peu spectaculaire, mais redoutablement efficace.
Ce sont là des gestes de bon sens, venus d’un passé où l’on ne comptait que sur les matériaux disponibles et l’intelligence des usages. Des gestes que les villes plus au Nord commencent à redécouvrir : on parle de plus en plus de remettre des volets, non pour le style uniquement, mais pour gagner quelques précieux degrés de fraîcheur sans recourir à la climatisation.
Réapprendre à habiter avec les rythmes des saisons
Ce que nous enseigne cette architecture du Sud, ce n’est pas seulement une technique. C’est une philosophie de l’habitat, une manière de penser la maison non pas comme une boîte hermétique qu’on climatiserait artificiellement, mais comme un organisme vivant, attentif à la lumière, au vent, à la température. Une maison qui respire, qui s’ajuste, qui sait attendre l’ombre plutôt que de la créer à coups de kilowatts.
Et cette maison, en se protégeant du dehors, ne renonce pas pour autant au monde. Elle continue de dialoguer avec lui — par la rue, par la fenêtre entrouverte, par la voix qui traverse les persiennes. Elle affirme que l’intimité n’est pas un luxe, mais une forme de liberté. Et que l’espace public n’est pas un décor, mais un lieu commun, un espace partagé qui donne tout son sens à ce qui se passe entre quatre murs.
Cette approche subtile de la limite entre l’espace public et privé est une des caractéristiques marquantes de l’art de vivre méditerranéen, qui a su aussi nourrir au fil des millénaires la culture urbaine à la Française, surtout dans le sud, mais pas uniquement. Même les régions du nord de la France possèdent cette « culture du volet », avec ses rituels et usages parfois oubliés, mais que les questions climatiques pourraient nous amener à redécouvrir.

un patrimoine à réinventer
Fermer ses volets à midi, dans les ruelles de Marseille ou de Séville, ce n’est pas se couper du monde. C’est une manière d’habiter plus humblement, plus intelligemment.

C’est faire confiance à des savoirs anciens qui ont traversé les siècles parce qu’ils étaient justes. Et c’est peut-être, face aux défis du climat, une des clefs les plus simples — et les plus belles — pour réconcilier confort, sobriété et qualité de vie.

Dans un monde qui cherche des réponses high-tech, n’oublions pas les enseignements des anciennes civilisations méditerranéennes qui nous ont précédés, et qui peuvent continuer à indiquer une direction pour l’avenir.




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