Urbanisme latin vs anglo-saxon : deux modèles opposés de la ville contemporaine
- Luc Delmont
- 1 août
- 3 min de lecture
L'urbanisme, bien plus qu'une simple question de bâtiments ou d'infrastructures, est l'expression d'une culture, voir d'une civilisation liée à une une histoire et d'une manière de vivre l'espace collectif.
Deux grands modèles se dessinent en Europe occidentale et au-delà : le modèle "latin", ancré dans la tradition méditerranéenne et européenne continentale, et le modèle "anglo-saxon", fruit des logiques libérales, industrielles du monde britannique et nord-américain.
Ces modèles, qui ne sont jamais purs ni rigides, servent de cadres d'analyse souples pour comprendre de façon schématiques les dynamiques spatiales et sociales des villes.
Deux modèles urbains : principes et contrastes
Le modèle latin
Le modèle latin, héritier de la ville romaine et méditerranéenne, se caractérise par un urbanisme dense, compact, mixte et fortement centré sur l'espace public. La ville y est pensée comme un lieu de sociabilité, d'histoire, d'identité. Le centre historique y conserve une valeur politique et symbolique essentielle. La trame urbaine est souvent organique ou en damier ancien, et l'espace public est un lieu de vie et de représentation (places, rues commerçantes, marchés, cafés). La mobilité y est majoritairement piétonne ou collective.
Le modèle anglo-saxon
Le modèle anglo-saxon, plus récent, est issu de l'âge industriel et de l'expansion automobile. Il repose sur une logique fonctionnelle, ségrégative (zoning), peu dense et très étalée. La ville est décomposée en zones (résidentielles, commerciales, industrielles), les mobilités sont fortement dépendantes de la voiture, et les espaces publics traditionnels sont souvent remplacés par des espaces privatisés (centres commerciaux, parkings). La sociabilité urbaine y est plus discrète, souvent reléguée à la sphère domestique.
Comparatif synthétique
Caractéristiques | Urbanisme latin | Urbanisme anglo-saxon |
Densité | Forte, compacte | Faible, étalée |
Trame urbaine | Organique ou en damier | Grille ou planifiée par zones |
Mixité fonctionnelle | Oui : logements, commerces, services imbriqués | Non : zonage strict |
Sociabilité urbaine | Forte : vie de rue, espaces publics animés | Faible : privatisation de l'espace |
Mobilité | Piétonne, transport en commun | Voiture individuelle dominante |
Espace public | Central : places, rues, cafés | Secondaire : parcs, parkings, centres commerciaux |
Rôle de l'État | Fort, planificateur | Limite, laissé au marché ou aux municipalités |
Rapport au patrimoine | Protégé, mis en scène | Souple, intégré dans l'évolution |
Comparaisons croisées
Lyon vs Birmingham : deuxièmes villes, deux logiques nationales
Lyon, en France, incarne un modèle latin : centre historique dense et mixte, réseaux de transport public performants, espace public vivant. Même ses développements récents (Confluence) visent à maintenir une continuité urbaine.



Birmingham, au Royaume-Uni, s'inscrit dans une logique anglo-saxonne : zonage, étalement suburbain, reconstruction post-industrielle autour de centres commerciaux et de voies rapides. La ville souffre encore d'une certaine fragmentation spatiale et sociale.



Lyon (modèle latin) | Birmingham (modèle anglo-saxon) | |
Trame urbaine | Dense, continue, centre actif | Fragmentée, zonée, dépendante de la voiture |
Mixité fonctionnelle | Forte | Faible |
Mobilité | Transports publics denses, piétonne | Prédominance de la voiture |
Patrimoine | Protégé, intégré à l'identité urbaine | Démolition-reconstruction, fragmentation |
Marseille vs Liverpool : ports coloniaux, mémoires urbaines
Marseille, port méditerranéen français, conserve un tissu populaire, mixte, intégré à son port. L'urbanité y est spontanée, vivante, parfois conflictuelle. La mémoire coloniale y est prégnante dans le paysage humain et urbain.
Liverpool, ancien port de l'empire britannique, a connu un déclin industriel suivi d'une tentative de revalorisation patrimoniale et touristique. Sa structure urbaine est fragmentée, son port longtemps déconnecté du reste de la ville.
Marseille | Liverpool | |
Trame urbaine | Ancienne, organique, port intégré | Trame industrielle, port séparé |
Urbanité | Populaire, spontanée, conflictuelle | Fragmentée, réhabilitée, touristique |
Mémoire coloniale | Très présente et visible | Musée, patrimonialisation plus distante |
Paris vs Londres : capitales contrastées
Paris est la quintessence du modèle latin : ville dense, centralisée, patrimonialisée, avec une hiérarchie urbaine claire et une forte mise en scène de l'espace public. L'État y joue un rôle majeur dans l'aménagement.
Londres, à l'inverse, est une ville composite, polycentrique, verte et souple. Sa croissance par agrégation de villages en a fait une métropole décentralisée où l'espace public est plus diffus, où le logement individuel domine, et où la ville se transforme par touches successives plus que par projets directifs.
Paris | Londres | |
Organisation spatiale | Centralisée, hiérarchisée, étoilée | Polycentrique, décentralisée |
Densité | Forte, maîtrisée | Moyenne à faible, étalement important |
Espace public | Monumental, actif, piétonnisé | Parcellaire, vert, diffus |
Rapport au patrimoine | Codifié, protégé, mise en scène | Souple, intégré à l'évolution continue |
Rôle de l'État | Fort, centralisé | Plus local, réparti entre entités publiques |
Conclusion : une urbanité française qui se perd...
La France s'est historiquement inscrite dans le modèle latin : villes denses, centres actifs, vie de rue, mixité des usages. Cependant, depuis les années 1960, ce modèle tend à s'éroder en périphérie : pavillonnaires, zones commerciales, zones d'activités, traitement technique des voiries...
L'enjeu contemporain est de réconcilier ces deux logiques : maintenir la richesse de l'urbanité latine tout en réinterrogeant les formes périurbaines issues de la "modernité" des 30 glorieuses pour qu'elles puissent se réintegrer ans des logiques urbaines "latines" porteuses de sociabilité, de proximité, et d'efficacité écologique et fonctionnelle.



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