Réenchanter la France : ce que le monde aime de nous peut (aussi) nous sauver
- Luc Delmont
- 19 juin
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 juil.

Il flotte aujourd’hui sur la France un sentiment de fatigue collective. Une lassitude sourde, faite d’inquiétude, de désillusion, de perte de sens. Les crises se superposent : crise écologique, crise sociale, crise du politique, crise des territoires, crise de confiance. Un mal-être profond traverse le pays, au point qu’on parle parfois d’une “dépression nationale”.
Dans ce contexte incertain, un paradoxe émerge : le monde, lui, continue d’aimer la France. Non pas pour sa puissance, ni pour son efficacité économique, mais pour autre chose — quelque chose de plus subtil, de plus ancien, de plus humain.
Ce que les étrangers, les francophiles, les visiteurs et les amoureux de la culture française viennent chercher ici, c’est un art de vivre singulier. Une manière de prendre le temps, de faire société, de cultiver la beauté, la langue, la table, la mémoire. Ce sont des traits latins, hérités d’une culture méditerranéenne millénaire, que la mondialisation tend à effacer, mais que la France peut encore choisir de réinventer.
Et si ce que le monde aime tant chez nous était justement ce que nous devions retrouver pour guérir, pour tenir, pour avancer ?
La relation au temps : ralentir pour se retrouver
Ce que l’on admire : En France (et plus largement dans les pays latins), la lenteur n’est pas toujours vue comme une perte de productivité, mais comme une manière de vivre mieux. On prend le temps de déjeuner — parfois encore deux heures en entreprise. On accorde de l’importance à la pause, à la discussion, à la promenade. En Italie, le mot dolce far niente est une philosophie. En Espagne, la siesta est un droit culturel.
Ce que l’on perd : Le culte de l’urgence, du “tout, tout de suite”, gagne du terrain. Les repas se raccourcissent. Le temps de l’école est compressé. Les jeunes vivent dans l’instantanéité numérique. Le temps long — de la transmission, de la maturation, de la parole partagée — s’efface.
Réenchanter :
Rétablir des rythmes de vie soutenables, à l’école, au travail, dans les soins.
Défendre les pauses collectives (repas, balades, fêtes) comme des temps sociaux structurants.
Valoriser des projets à long terme, hors des logiques électorales ou budgétaires immédiates.

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La culture populaire : la fête comme lien social
Ce que l’on admire : Les fêtes votives du sud de la France, les carnavals de Granville ou de Nice, les bandas, les bals de village, les marchés de Noël en Alsace, les processions corses, les concerts en plein air à Marseille ou à Toulouse. Ce sont des lieux de lien, de mémoire, de réconciliation. Le monde entier aime cette France qui vit dehors, dans la rue, en musique, dans les rituels vivants.
Ce que l’on perd : Beaucoup de ces fêtes sont menacées. Faute de financements, de relève, à cause de normes trop rigides ou de problématiques d’insécurité. Les nouvelles générations s’en éloignent parfois, les banlieues en sont souvent absentes, les campagnes désertées peinent à les faire vivre.
Réenchanter :
Soutenir les cultures populaires dans les quartiers, les zones rurales, les DOM-TOM.
Favoriser les pratiques collectives spontanées : fanfares, chorales, danse, arts de rue.
Inscrire ces expressions vivantes dans les politiques culturelles nationales et locales.

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L’art de la table : manger comme un acte social
Ce que l’on admire : Le repas gastronomique français est inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Mais ce qui touche le plus, ce n’est pas l’étoile Michelin, c’est le repas en famille le dimanche, le pique-nique sous les platanes, les longues discussions autour d’un verre. Cette manière de manger ensemble, de partager les plats, les histoires et les silences, fascine.
Ce que l’on perd : L’individualisation des repas, la précarisation alimentaire, les plats industriels, les cantines appauvries, le temps qui manque. De plus en plus de Français mangent seuls, debout, devant un écran.
Réenchanter :
Réintroduire l’éducation au goût et à la cuisine dès l’école primaire.
Développer les cuisines collectives dans les quartiers populaires, les maisons de jeunes, les lycées.
Valoriser la table comme un espace culturel, social, intergénérationnel.

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L’ancrage local : redonner du sens aux territoires
Ce que l’on admire : La France des villages, des paysages agricoles, des cafés de campagne, des accents, des marchés, des sentiers. Ce sont des lieux chargés d’histoires, d’odeurs, de chaleur. Ce sont aussi des scènes de cinéma, de littérature, d’enfance pour beaucoup.
Ce que l’on perd : La désertification médicale, la fermeture des petites lignes de train, la disparition des commerces de proximité, l’homogénéisation architecturale des zones commerciales. La France se banalise, et perd ce qui faisait sa diversité géographique et humaine.
Réenchanter :
Encourager les modèles économiques territoriaux : circuits courts, tourisme culturel lent, coopératives locales.
Réinvestir les bourgs ruraux et les petites villes comme lieux de dynamisme et innovation sociale.
Lutter contre la banalisation paysagère en protégeant les savoir-faire et les architectures vernaculaires.


Le sens du beau : faire de la beauté un bien commun
Ce que l’on admire : Les façades, les vitrines, les jardins, la lumière, les pierres anciennes. Le soin porté aux détails. En France, l’esthétique a longtemps été considérée comme une valeur sociale. Même un bistrot de quartier raconte une histoire visuelle.
Ce que l’on perd : L’urbanisme fonctionnel, les bâtiments sans âme, les centres commerciaux standardisés, la signalétique criarde, la prolifération d’affiches de compagnies mondialisées. Le beau devient un luxe, réservé à certaines zones ou à certains publics.
Réenchanter :
Réintroduire des artistes, des artisans et des paysagistes dans les projets urbains.
Créer des écoles de beauté populaire, valorisant les métiers d’art, de design, de restauration.
Penser la ville comme un espace à vivre esthétiquement, émotionnellement, symboliquement.

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6. L’émotion collective : remettre l’humain au centre
Ce que l’on admire : Les débats passionnés, les mobilisations citoyennes, les grands élans de solidarité, les marches, les concerts engagés. La France fait parfois peur par son intensité, mais elle fascine par sa capacité à vibrer collectivement, à défendre des idées avec ferveur.
Ce que l’on perd : La politique dépolitisée, l’émotion refoulée, le cynisme, le repli sur soi. Les jeunes ne croient plus aux institutions, les mobilisations s’éteignent vite, ou explosent en violence.
Réenchanter :
Proposer aux jeunes des lieux d’expression, de création, de rêve collectif.
Décloisonner l’école, l’art, la rue, la politique.
Revaloriser l’imaginaire, la parole, la fête, le récit commun comme leviers d’action.
Conclusion : Réenchanter, c’est réparer, relier, relancer
Réenchanter la France à partir de son héritage latin, ce n’est pas s’enfermer dans une identité figée. C’est retrouver le fil d’un récit collectif, fait de chaleur, de beauté, de rythme, de sens, de lien. C’est affirmer que la culture n’est pas un supplément d’âme, mais la base même d’un avenir vivable et désirable.
Et ce réenchantement peut répondre concrètement aux grandes crises :
Crise écologique et agricole : en reconnectant les humains à leur territoire, à la saison, au sol.
Difficultés d’intégration : en tissant des cultures communes, vivantes, ouvertes, accessibles.
Banalisation des paysages : en redonnant du sens aux lieux et du soin aux formes.
Perte de sens chez les jeunes : en leur offrant autre chose que la performance : un ancrage, une émotion, un récit.
Le monde aime la France pour ces raisons. Il est temps que nous l’aimions à nouveau, pour les mêmes.



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