Préserver la viticulture pour revitaliser une part emblématique de notre culture
- Luc Delmont
- 2 juil.
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Dernière mise à jour : 4 juil.

La viticulture, ce n’est pas uniquement une affaire de cépages, de terroirs ou de gastronomie. Sauver la viticulture française, c’est défendre un mode de vie, une culture millénaire, un véritable héritage civilisationnel, possédant une part de sacré.
Alors que les défis s’accumulent — crise économique, baisse de consommation, concurrence mondiale — il est urgent de rappeler que la vigne est bien plus qu’un secteur économique. C’est une expression profonde de l’identité latine, telle qu’elle s’est façonnée au fil des siècles en France, comme en Espagne, en Italie ou au Portugal.
Une histoire millénaire enracinée dans notre civilisation
La vigne et le vin sont intimement liés à l’histoire des peuples latins. En France, la viticulture est née bien avant que la France n’existe. Elle fut introduite par les Grecs phocéens, fondateurs de Massalia (Marseille), autour de 600 av. J.-C. Dans les derniers siècles avant notre ère, la Gaule indépendante ne produisait encore aucun vin, mais le consommait à flot. On le boit pur, mais sa valeur est considérable : une amphore pour un esclave. Le breuvage tient aussi une place particulière, notamment au travers de grands banquets au sein de sanctuaires, où le col des amphores est sabré.
Elle devint rapidement une boisson préférée des Gaulois, souvent plus que la Cervoise. Puis, les Romains, dans leur œuvre d’intégration de la Gaule à l’Empire, diffusèrent la culture de la vigne à travers la vallée du Rhône, de l’Aquitaine et jusqu’à la Loire et ponctuellement au-delà. Les Gallo-Romains ont rapidement acquis une réputation d’excellent viticulteurs au sein de l’empire Romain.

Le vin devient un produit de civilisation : un signe de raffinement, un objet de commerce, mais aussi et surtout un élément central du lien social.
Durant le Moyen Âge, les abbayes bénédictines et cisterciennes développent l’excellence viticole : ce sont les moines qui améliorent la taille, les cépages, les caves. La vigne devient aussi un patrimoine spirituel. À la Renaissance, les grands vignobles s’organisent autour de puissances régionales (ducs de Bourgogne, marchands de Bordeaux).
Enfin, à l’époque moderne, après la catastrophe du phylloxéra au XIXe siècle, la France s’illustre dans l’invention des appellations d’origine contrôlée (AOC), protégeant non seulement un produit, mais un savoir-faire transmis de génération en génération. Aujourd’hui encore, la viticulture est un héritage de ces siècles de perfectionnement technique, d’inscription dans le sol et dans la durée.
Le vin : ciment social et sacré dans les cultures de l’Europe latine
Le vin ne se réduit pas à une boisson. Il est un symbole collectif, un langage commun. Dans toutes les sociétés latines, il est présent dans les moments de joie, de deuil, de fête, d’union. Il accompagne les repas familiaux, les dimanches de communion, les banquets républicains comme les célébrations populaires.

Il joue également un rôle symbolique et religieux. Dans le rite catholique, il devient le sang du Christ, marquant ainsi la profondeur sacrée du lien entre le vin et le mystère de la vie. Cette place centrale dans la liturgie n’est pas anodine : elle exprime que le vin est bien plus qu’un aliment, il est porteur d’une transcendance, d’un ordre symbolique, d’une culture du partage ancrée dans l’histoire millénaire.
Dans la tradition républicaine aussi, le vin a été un marqueur de fraternité. Les banquets révolutionnaires, les fêtes ouvrières ou les rassemblements syndicaux se sont tous ancrés dans cette convivialité propre aux cultures de l’Europe du Sud, où l’on débat, échange, rit et pleure autour d’une table, le verre à la main.

Une structure vivante des territoires et de l’économie
La viticulture façonne le paysage français. Des coteaux d’Alsace aux terrasses du Rhône, des collines du Beaujolais aux rives de la Garonne, la vigne est une architecture du vivant, du paysage, du relief, de la terre et du climat. Elle sculpte les collines, façonne les villages, ordonne les saisons et les gestes des hommes.

Mais la vigne est aussi un tissu économique local. Plus de 500 000 emplois directs et indirects en dépendent : viticulteurs, coopératives, tonneliers, œnologues, restaurateurs, exportateurs, cavistes… La vigne irrigue des centaines de petites communes, souvent rurales, où elle constitue le cœur de la vie économique.
Elle participe également à l’attractivité culturelle et touristique de notre pays : routes des vins, fêtes des vendanges, musées, circuits œnologiques. Ces éléments renforcent l’identité locale et participent au rayonnement international de la France.

Une filière menacée, un héritage en péril
Aujourd’hui, pourtant, la viticulture française est en danger. Plusieurs menaces se conjuguent :
• La concurrence mondiale, avec des vins standardisés produits à bas coût dans de nouveaux pays viticoles (Chili, Afrique du Sud, États-Unis) ;
• La baisse de la consommation intérieure, due à une évolution des modes de vie, mais aussi à des campagnes de santé publique qui, parfois, assimilent le vin à des alcools forts sans nuance ;
• La pression réglementaire croissante, qui encadre de plus en plus strictement la publicité, la consommation, les labels ;
• Le dérèglement climatique, qui perturbe la maturation des raisins, les rendements, et remet en question la localisation historique de certains vignobles.
Si nous ne faisons rien, nous ne perdrons pas seulement une filière économique. Nous perdrons un mode de vie, un patrimoine immatériel, une source de lien social.

Défendre la vigne, c’est défendre une part importante de notre civilisation
La vigne n’est pas un luxe. Elle n’est pas un vestige du passé. Elle est le symbole vivant d’une civilisation qui a su faire du sol un art, du travail une culture, du partage un idéal.
Dans un monde mondialisé, standardisé, amnésique, la viticulture est un acte de résistance. Elle incarne une identité française et latine enracinée, joyeuse, laborieuse, transmise.
Ne laissons pas mourir la vigne : ce serait laisser mourir une part de l’âme française. Agir pour elle, c’est refuser la banalisation du monde. C’est préférer le terroir à la marque, la qualité au volume, la convivialité au plaisir individualiste.
Et c’est, finalement, rappeler que dans une société en quête de sens, le vin reste un ferment de civilisation essentiel à protéger et promouvoir.



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