"Non M. Mélenchon, les français d’origine Maghrébine ne sont pas des orientaux
- Luc Delmont
- 21 juin
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 juil.
![Térence, né aux alentours de 190 av. J.-C. à Carthage et mort à Rome en 159 av. J.-C., est un poète comique latin, d'origine berbère[1]. Auteur de seulement six pièces qui nous sont toutes parvenues, il est considéré, avec Plaute, comme un des deux grands maîtres du genre à Rome, et son œuvre a exercé une influence profonde sur le théâtre européen, de l'Antiquité jusqu'aux temps modernes.](https://static.wixstatic.com/media/dcd417_650d0e53af704d7db21521bab0cf44e8~mv2.jpg/v1/fill/w_800,h_798,al_c,q_85,enc_avif,quality_auto/dcd417_650d0e53af704d7db21521bab0cf44e8~mv2.jpg)
« On nous a fait croire que nous étions des Orientaux, des Arabes du désert, des gens d’un ailleurs lointain. Mais si l’on remonte le fil de l’histoire, on découvre une vérité méconnue, voir taboue : le Maghreb est historiquement et geographiquement une terre d’Occident, dans le sens originel du terme. »
Un malentendu historique : les Maghrébins ne sont pas des "Orientaux"
Depuis des décennies, l’imaginaire collectif en France, qu’il soit colonial ou postcolonial, associe les populations d’origine maghrébine à un ensemble flou que l’on appelle « l’Orient » : un monde arabe, musulman, exotique, perçu comme totalement étranger aux fondements de l’Occident, et de la France en particulier. Ce récit a façonné les identités de la france moderne et dans sa culture populaire : les français d’origine Maghrébine, « beurs » devenus « Arabes », puis « musulmans », seraient naturellement issus d’un Orient en opposition frontale à l’Occident chrétien et européen.
Ce récit est appliqué par tour tous, Que se soit de façon péjorative, lorsque ces qualificatifs et les cliches qui s’y rapportent sont appliques dans une volonté d’exclusion raciste. Ou au contraire, lorsque une certaine gauche (ou les islamistes), enferme les français d’origine Maghrébine un imaginaire oriental exclusivement arabo-musulman, les appelant à s’identifier à des figures comme Saladin, Soliman où Mahommet, en contre-projet aux figures françaises et occidentales. Les propos recents de Jean-Luc Melenchon traduire cette volonté d’essentialiser les français d’origine maghrebine dans une mythologie d’origine coloniale et raciste, pas fondamentalement différente de celle portés par les mouvements ultra identitaires d’extreme droite.
Or, non seulement cette assignation identitaire est un enfermement prejudiciable pour tous, mais elle se base sur un récit géographiquement et historiquement faux. Et dangereusement réducteur.
Pour comprendre pourquoi, il faut revenir aux vraies origines de l’opposition Orient/Occident : non pas religieuses ou ethniques, mais géopolitiques, remontant à l’Empire romain.
L’Occident romain : un espace dont le Maghreb faisait partie intégrante
À la fin du IVe siècle, l’Empire romain est divisé pour des raisons pratiques en deux parties :
L’Empire romain d’Occident, centré sur Rome, de culture latine, qui regroupe l’Italie, la Gaule, l’Espagne… et le nord de l’Afrique (Tunisie, Algérie, nord du Maroc).
L’Empire romain d’Orient, dominé par la culture grecque, avec pour capitale Constantinople (aujourd’hui Istanbul), qui deviendra l’Empire byzantin.
Ce découpage est fondamental : il montre que le Maghreb est dans l’espace occidental, au même titre que la France ou l’Espagne. À l’époque, Carthage était une grande métropole latine, aussi centrale que Marseille ou Séville dans le système impérial.
Des villes comme Timgad, en Algérie, ou Volubilis, au Maroc, sont de véritables vitrines de la civilisation romaine : forums, thermes, bibliothèques, théâtres. Les Maghrébins de cette époque parlaient le latin, allaient aux bains publics, écrivaient sur des tablettes de cire, lisaient Virgile, priaient dans des églises.
3Le christianisme maghrébin : Augustin, l’un des pères fondateurs de l’Occident chrétien
Beaucoup ignorent que le Maghreb a été l’un des premiers foyers du christianisme.
Saint Augustin, né à Thagaste (actuelle Souk Ahras en Algérie) au IVe siècle, est l’un des piliers de la pensée chrétienne occidentale. Ses œuvres ont marqué toute la théologie médiévale européenne, jusqu’à Saint Thomas d’Aquin.
Le concile de Carthage (397) est un événement majeur du christianisme ancien, qui a participé à définir le canon biblique.
Des centaines de martyrs, de théologiens et d’évêques chrétiens ont vécu en Afrique du Nord bien avant la conquête arabe.
Le Maghreb a donc été chrétien et occidental avant même que la majorité de l’Europe du Nord ne le soit.
L’influence romane et germanique : un destin commun avec l’Europe du Sud
Après la chute de l’Empire romain d’Occident, le Maghreb connaît des évolutions parallèles à celles de l’Europe latine :
Invasions germaniques : les Vandales, peuple venu d’Europe centrale, envahissent l’Afrique du Nord au Ve siècle, comme les Wisigoths en Espagne ou les Francs en Gaule. Ils fondent un royaume vandale centré sur Carthage.
Langues romanes : comme dans le reste de l’Empire romain, le latin évolue. Des formes de latin populaire persistent, notamment chez les populations berbères christianisées. Il est probable que des parlers proches du romanche ou de l’italien aient subsisté jusqu’à l’islamisation.
Continuité urbaine et administrative : pendant plusieurs siècles, la vie municipale, les routes, les taxes, les lois restent d’inspiration romaine.
L’Orient "arabe" : une autre histoire, venue d’ailleurs
Ce que l’on appelle aujourd’hui "oriental" – c’est-à-dire ce qui vient du Proche et du Moyen-Orient – n’a que peu de lien avec le Maghreb des origines.
Cet "Orient" est le fruit d’une autre histoire :
Celle de l’Empire byzantin, héritier de la Grèce antique, puis de l’Empire ottoman, qui transforme Constantinople en Istanbul.
C’est là que naissent les grands codes de l’architecture islamique ottomane (mosquées à coupoles, minarets élancés, calligraphie, mosaïques).
Les hammans, si répandus au Maghreb, sont une adaptation orientale des thermes romains, passés par Byzance avant d’arriver dans l’espace ottoman.
Les grandes œuvres scientifiques « arabo-musulmanes » sont en grande partie des traductions du grec ancien en arabe, via les écoles syriennes et persanes.
Le Maghreb n’a jamais été intégré à l’Empire ottoman (sauf partiellement la Régence d’Alger) : il a gardé une forte indépendance historique vis-à-vis de cette culture orientale.
L’islamisation du Maghreb : une rupture partielle, tardive et lente
L’islam arrive au Maghreb au VIIe siècle, mais il ne s’impose pas du jour au lendemain :
Les campagnes berbères résistent longtemps : beaucoup continuent à pratiquer le christianisme ou leurs religions traditionnelles pendant des siècles.
Les premières dynasties locales, comme les Idrissides, les Almoravides ou les Almohades, forgent un islam maghrébin distinct, souvent en opposition à l’Orient.
Le monde berbère reste autonome, parfois hérétique aux yeux des docteurs orientaux.
Ce n’est qu’avec le temps, sous l’effet des échanges culturels et religieux, que le Maghreb se rattache symboliquement à l’Orient musulman. Mais cette affiliation est tardive, partielle et souvent politique, non naturelle.
La fabrication d’un mythe : le Maghrébin comme "Arabe oriental" : une vision coloniale
Au XIXe siècle, la colonisation française construit un récit : l’indigène musulman est vu comme un Arabe, donc un Oriental, donc un Autre absolu.
On efface les origines chrétiennes et latines du Maghreb.
On impose une identité « arabo-islamique » homogène à des peuples pourtant pluriels.
Les générations d’immigrés, en France, héritent de ce mythe : on les appelle « les Arabes », quand bien même ils viennent du Rif berbère, de Kabylie ou du Souss.
Le discours républicain contemporain, même s’il est laïque, continue souvent à essentialiser les Français d’origine maghrébine comme des héritiers de l’Orient – les enfermant dans une altérité qui n’a rien d’historique.
Retrouver une place dans l’histoire de l’Occident latin, et de la France
"Je ne suis pas un Oriental. Je ne viens pas de Bagdad ni de Damas. Je viens d’une terre qui fut romaine, chrétienne, berbère, latine. Une terre qui a partagé son histoire avec celle de l’Europe du Sud."
Reconnaître cette vérité, ce n’est pas renier l’histoire musulmane du Maghreb. C’est reconnaître toutes ses strates : gréco-romaine, chrétienne, berbère, arabo-musulmane. C’est refuser qu’une seule couche, récente, en efface toutes les autres.
C’est aussi rompre avec le piège de l’assignation à l’Orient, qui isole, qui marginalise, qui fait des français d’origine Maghrébine des étrangers dans leur propre pays.
Le Maghreb n’a pas été un simple satellite de l’Orient musulman. Il fut une partie vivante de l’Occident latin, avec ses penseurs, ses saints, ses villes romaines, ses langues romanes.
Redécouvrir cette histoire, c’est sortir de l’exotisme dans lequel nous avons enfermé nos concitoyens d’origine Maghrebine, et leur permettre de retrouver leur légitimité à faire pleinement partie de l’histoire occidentale, latine et mediterraneenne de la France – non pas par volonté d’effacement de leurs racines, mais par mémoire pour elles.



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