Marseille, la plus grecque des villes françaises
- Luc Delmont
- 26 nov.
- 6 min de lecture
Une histoire méditerranéenne de 2600 ans
Malgré ses problèmes récurrents et sa réputation sulfureuse, Marseille, souvent présentée comme "la plus vielle ville de France" avec son Vieux-Port, ses senteurs d’anis et de mer, ses ruelles escarpées, ses quartiers bigarrés, et ses calanques d’un blanc éclatant et malgré ses ses tensions culturelles et sécuritaires, porte dans son identité quelque chose d’unique en France : elle est, dès son origine, une ville profondément liée à l'ensemble du bassin méditerranéen.
Fondée vers 600 avant notre ère par des marins phocéens, Massalia n’est pas seulement la plus ancienne ville du pays ; elle fut la porte par laquelle les idées, les savoir-faire et la culture du monde méditerranéen ont pénétré l’Hexagone.
Son histoire, d’une étonnante continuité, éclaire encore aujourd’hui sa personnalité complexe, controversée, mais fascinante.
Massalia, la cité grecque née de la mer
L’aventure commence lorsque des Phocéens quittent l’Asie Mineure, poussés par la pression perse et portés par le désir d’explorer de nouveaux rivages. Ils accostent dans une anse naturellement protégée, dominée par des collines et ouverte sur des routes celto-ligures.

Le site, d’une beauté rude et stratégique, leur rappelle immanquablement les contours familiers de leur Méditerranée orientale, côte escarpée, calanques sauvages de pierre calcaire recouvertes de façon éparse de garrigues et maquis.

Ils y fondent Massalia, une véritable cité organisée selon les principes du monde grec : un port structuré, une agora, des remparts et une vie civique animée. La ville devient très vite l’un des plus importants comptoirs de la Méditerranée occidentale.
Une métropole grecque qui essaime sur toute la côte
Massalia ne se contente pas de prospérer : elle rayonne. Au fil des siècles, la cité joue un rôle central dans l’expansion grecque en Méditerranée occidentale. Elle fonde ou co-fonde plusieurs villes qui deviendront des ports essentiels de la côte provençale et languedocienne, parmi lesquelles Arles, Nice, Antibes ou Agde.

En consolidant ce réseau de comptoirs, elle ouvre un couloir commercial de première importance reliant le monde grec à l’intérieur des terres gauloises. Les routes du Rhône, de la Durance et plus tard des Alpes deviennent les prolongements naturels de sa vocation maritime.
Un vecteur majeur de la culture antique en Gaule
La présence grecque à Marseille exerce une influence profonde sur les populations environnantes. La langue, notamment, circule et se mêle aux idiomes celtes. Les échanges commerciaux et culturels contribuent à diffuser des concepts philosophiques, des pratiques artisanales et une vision du monde issue de l’Ionie.

Les Grecs introduisent même leurs savoir-faire agricoles, en particulier la viticulture, devenue l’un des piliers de la civilisation gauloise puis romaine. Les amphores massaliotes mises au jour dans toute la France témoignent de l’intensité du commerce du vin, véritable marqueur de cette influence durable.
De même, les croyances, rites et représentations grecques se mêlent progressivement aux spiritualités locales. Massalia devient un lieu de contact où les idées circulent avec une remarquable fluidité, préparant le terrain à la romanisation qui suivra.
Marseille romaine : port stratégique et porte d’entrée du christianisme en Gaule
Après sa conquête par Jules César en 49 av. J.-C., Massalia perd une partie de son indépendance, mais non son importance. La cité reste un port majeur de l’Empire, une place savante réputée et un relais stratégique vers le monde méditerranéen. Cette position privilégiée en fait l’un des points d’entrée du christianisme en Gaule.

Les traditions provençales racontent que Marie-Madeleine aurait accosté non loin de là avant d’évangéliser la région, et que Cassien, figure majeure de la spiritualité orientale, y aurait fondé ses monastères au IVᵉ siècle. Qu’on les prenne au pied de la lettre ou qu’on y voie des symboles, ces récits montrent l’importance spirituelle de Marseille dans l’Antiquité tardive.


Une "ville-monde" au Moyen Âge et à l’époque moderne
Du Moyen Âge à l’époque moderne, Marseille reste la grande fenêtre française sur la Méditerranée, et, par extension sur le monde. Elle entretient des liens continus avec l’Italie, l’Orient, l’Afrique du Nord et le Levant. Le commerce des épices, des étoffes et des produits venant de l’autre rive contribue à modeler la ville.

À l’époque coloniale, elle devient l’un des ports les plus actifs de l’espace méditerranéen, le lieu de départ vers l’Algérie et le Moyen-Orient, mais aussi celui du retour. Cette histoire de brassage incessant explique la mosaïque culturelle qui caractérise la ville d’aujourd’hui, sans pour autant nous faire oublier ou enjoliver les tensions et difficultés rencontrées aujourd'hui.
Une ville grecque par sa géographie autant que par son passé
Bien avant l’histoire, le paysage semblait déjà préparer l’arrivée des Phocéens. Les Grecs avaient coutume d’établir leurs colonies dans des baies abritées, proches d’un relief protecteur et à portée de terres favorables à la vigne. Le site du Vieux-Port répondait parfaitement à ces exigences.
En observant la ville moderne, on retrouve les traits familiers de nombreuses cités grecques : une anse profonde lovée entre des collines, une mer omniprésente, et cette impression que la ville descend littéralement vers l’eau.



Les calanques, avec leurs falaises de calcaire blanc plongeant dans un bleu intense, évoquent irrésistiblement les rivages grecs, de Crète aux Cyclades. Il suffit d’un regard pour comprendre pourquoi les Phocéens se sont sentis chez eux.


A proximité immédiate de l’ancienne cité grecque, le port demeure le cœur battant de la ville, là où se croisent les voyageurs, les pêcheurs, les marchands et les nouvelles idées. La gastronomie, la convivialité, la place donnée à l’oralité et au débat, tout cela fait écho à la longue tradition méditerranéenne dont Marseille est l’héritière directe.
Marseille : porte par laquelle la Grèce a posé les fondations culturelles de la France
Marseille n’est pas seulement une ville influencée par la Grèce ; elle est née grecque et n’a jamais cessé de se penser par la Méditerranée. Massalia a transmis au territoire français une part essentielle du bagage antique, fondation de l’esprit français : la vigne, la culture politique et philosophique, la navigation, le commerce, l’ouverture au bassin méditerranéen. À travers les siècles, la ville a conservé cette vocation de carrefour maritime, à l’instar des autres grandes cités-états coloniales, comme Naples (nouvelle Ville en grec) en Italie.
Marseille, plus que toute autre en France, reste la preuve vivante que la Méditerranée n’est pas seulement une mer : c’est notre civilisation, dont la Grèce antique fut le cœur battant.

Massalia et les Gaulois : une influence grecque décisive
Fondée vers 600 av. J.-C. par des Grecs phocéens, Massalia (Marseille) devient très vite un centre majeur d’échanges avec les peuples gaulois. Les influences qu’elle exerce en Gaule sont nombreuses et bien attestées par l’archéologie.
La plus visible est le commerce : des milliers d’amphores massaliotes retrouvées jusqu’en Bourgogne montrent l’importance du vin grec dans les échanges avec les élites gauloises. Ce commerce enrichit certaines chefferies et contribue à renforcer leur pouvoir.
Massalia introduit ensuite la monnaie frappée, que plusieurs peuples gaulois adoptent en imitant les types grecs : tête d’Apollon, légendes grecques. Cela transforme les pratiques économiques et favorise des réseaux d’échanges plus étendus.
Autre apport essentiel : l’écriture grecque. Dans le Midi, de nombreux graffitis et inscriptions montrent l’usage d’un alphabet gallo-grec adapté au gaulois. C’est la première véritable introduction de l’écrit dans ces sociétés.
Les influences sont visibles aussi dans l’artisanat (formes de céramiques, motifs, techniques métallurgiques) et dans la structuration progressive de centres fortifiés qui annoncent les oppida, même si ceux-ci restent une création celte.
Sans “helléniser” la Gaule, Massalia a joué le rôle de pont culturel entre Méditerranée et monde celtique, influençant durablement l’économie, les techniques et l’évolution sociale des Gaulois du Sud et de l’intérieur.