Des réponses locales aux enjeux environnementaux
- Luc Delmont
- 10 déc. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 juin

En ce début de siècle, les dysfonctionnements climatiques de plus en plus concrets font prendre conscience à la plupart des citoyens des limites de la croissance et du développement exponentiel induit par la « modernité ». Même dans les milieux habituellement peu sensibles à cette problématique, l’idée qu'il sera bientôt inévitable de modifier en profondeur la façon de faire fonctionner la société s’impose peu à peu.
Là où les divergences se font sentir est sur les méthodes à mettre en œuvre pour répondre à cette urgence. Au sein de mouvements se revendiquant de la Gauche, principalement depuis les années 70, se sont développés des mouvements remettant en cause le principe du développement moderne, pourtant lui-même intrinsèquement lié à l’idéologie de « progrès » porté par les idéologies se réclamant jusque là de la gauche.
A l'inverse, la droite moderne, qui, durant le 20ème siècle, a appris à faire sien le mythe du « progrès », a longtemps semblé plus que timide sur ces questions, préférant souvent ignorer le sujet, voire, dans certains cas, tendre vers les thèses climato-sceptiques. Sous la pression d'une réalité de plus en plus éclatante, la droite libérale semble aujourd’hui vouloir commencer à s'approprier ces thématiques, en portant à son tout le principe du développement durable, qui consiste en le souhait de maitriser le développement en cherchant à limiter ses conséquences, mais sans réellement questionner le mythe moderne du développement continuel.
Les questions relatives à l'écologie dépassent les traditionnels clivages droite/gauche
En réalité, ces préoccupations nous concernant tous. Elles ne devraient pas avoir une coloration particulière sur l’échelle du clivage droite/gauche.
Nous ne devrions pas à choisir entre d'un côté l’attitude contradictoire d'une certaine gauche "écologiste", qui prône souvent le dépassement des réalités biologiques de la nature humaine d’un côté à travers un progressisme dogmatique, tout en appelant paradoxalement à un retour à la nature, et, de l’autre côté l'autre côté, le manque total de vision ou d'ambition de la plupart des mouvements de droite sur ces thématiques.
Pourtant, lorsque l’on y pense, les préoccupations écologiques portent sur la volonté de préserver la planète, de maintenir les grands équilibres naturels, de maintenir vivante la biodiversité, d'aspirer à ancrer la vie humaine dans cette formidable histoire de la vie, de l’ancrer dans des territoires caractérisés par leur biodiversités spécifiques. Fondamentalement, l'objectif de toute démarche écologique est de transmettre cet environnement que la nature et les hommes qui nous ont précédés nous ont légué, et de les léguer le plus intact possible aux générations futures. En bref, l’écologie est un conservatisme, dans le sens le plus noble du terme.
Sur ces questions, le mépris de la droite est difficilement compréhensible. Le problème étant que ce que l’on nomme la droite est aujourd'hui devenue un ensemble de mouvements politiques généralement acquis aux grands principes libéraux de la modernité conquérante, guidés par le mirage du progrès : libre circulation des capitaux, surconsommation des ressources et des espaces naturels, généralisation du commerce de masse à l'échelle mondiale impliquant des émissions importantes de gaz à effets de serre, etc.
Passer du développement durable à l'épanouissement durable
Il faudrait que la France puisse trouver une troisième voie, capable d’offrir un modèle de société, un modèle économique et un modèle culturel ayant du sens pour les habitants et nous permettant d’inscrire la vie de nos enfants dans un environnement dans lequel l'homme trouve sa place, dans lequel il soit possible de s’épanouir, plutôt que se développer, de façon véritablement durable.
Le concept d’épanouissement durable ajouterait des notions de plaisir, d’ancrage et d’identité, de sens, au concept de développement durable. En rattachant une dimension affective et territorialisée au concepts un peu froids et hors sols de l’écologie actuelle, nous pourrons avoir toute une boite à outils s’offrant à nous afin d’apporter des solutions de bon sens aux défis environnementaux.
Le localisme : une relation durable au territoire
Les modes de vies les plus vertueux d'un point de vue environnemental sont souvent ceux qui ont su traverser les époques sans trop endommager leur environnement immédiat, ceux qui ont su être durable dans le temps en se traduisant dans une relation rapprochée avec l'environnement local et ses caractéristiques particulières.
L’observation des habitudes historiques et des spécificités de l’échelon local représente une source inépuisable pour réinventer des solutions adaptées au contexte géographique, climatique et culturel. L’approche localiste, consistant à ancrer le fonctionnement de l’économie au plus proche des lieux de vie habitants, sans être dogmatique car ce n’est évidemment pas toujours réalisable intégralement.

Nous sommes convaincus que les fondements méditerranéens de notre culture française sont favorables aux approches locales de production. La notion de terroir, en français illustre assez bien cette idée. Il s’agit d’une notion particulière le territoire, en tant que somme de tous ce qui le compose, est le support d’une production unique, ne pouvant exister nulle part ailleurs. Cette notion se retrouve aussi largement répandue dans les autres pays latins d'Europe, en Italie ou en Espagne. Dans ces cultures, les appellations d’origine visent à assurer le consommateur de l’authenticité de la production alimentaire, qui possède par ailleurs une forte dimension culturelle, voire identitaire, et pas uniquement commerciale.
Un produit étant naturellement une résultante du contexte naturel, c'est à dire le climat, les sols, l'ensoleillement, et du contexte humain, traduisant des savoir-faire anciens adaptés par l'usage au fil des siècles, en réponse au contexte environnemental spécifique.

La culture du vin et des fromages, productions emblématiques de l’Europe latine, se déclinent aujourd’hui à travers la notion moderne de terroir traduit cette attention à l’ancrage local des productions culinaires.
Quand nous parlons ici de productions, cela va bien entendu bien au delà de l'agro-alimentaire, mais concerne bien d'autres domaines de l'économie : la construction ou les différentes formes d'artisanat qui trouvent aussi une résonnance locale particulière qui donne un sens, une identité au territoire, se traduisant dans ses architectures, ses folklores et ses modes de vie.
Le monde Anglo-saxon, et, d’une façon générale, la société consumériste moderne globalisée sont plutôt assez étrangers à ce type de démarches de productions ancrées dans l’échelle locale. Cela ne veut pas dire qu’elles n’existent en dehors des pays latins d’Europe, mais qu’une telle approche n’y est pas autant valorisée.
Des approches territoriales différentes entre le nord et le sud de l'Europe
Ceci est peut-être lié à des raisons historiques et philosophiques profondes, notamment au fait que l’identité, dans les du nord de l’Europe, est depuis longtemps plus perçue en tant qu'identité « ethnique », plutôt qu’en tant qu'identité de territoire.
En Europe du sud, la population descend principalement des peuples issus des migrations des premiers fermiers du néolithique, originaires du Proche-Orient, et s’étant sédentarisés en Europe via la méditerranée il y a entre 7 000 et 5 000 ans. Les populations nord Européennes sont, quant à elles, plutôt majoritairement descendantes des peuples de pastoralistes nomades en provenance de la steppe pontique, plaine du nord de la mer noire et de la mer Caspienne, et venus en Europe de l'ouest à dos de cheval. Bien entendu, ce ne sont pas les différences génétiques entre les Européens du nord et du sud qui sont à l'origine de cette différence d’approches, mais il est tout à fait probable que les profondes différences de modes de vies entre agriculteurs sédentaires et pastoralistes nomades aient pu imprégner sur le long terme, jusqu’à aujourd’hui, des rapports différents aux territoires sur lesquels ceux-ci se sont implantés.
Ce n’est probablement pas par hasard si la France applique le droit du sol, lorsqu’en Europe du nord, le droit du sang est plutôt la norme. Ce n’est probablement pas non plus un hasard si les peuples d’Europe du nord ont généralement connu une très grande mobilité, se déplaçant parfois en peuples entiers d’une région à une autre, au gré des opportunités. L’Europe du sud ayant toujours présenté une plus grande tendance à l’enracinement du fait d’une culture agricole sédentaire millénaire plus profondément ancrée. Ce sans doute pas totalement fortuit si les premières véritables villes d'Europe sont nées en méditerranée, au sein de cultures essentiellement sédentaires et agricoles.
L’ancrage dans l'environnement local permet à la fois d’être vertueux sur le plan de l’écologie, en s’attachant à garantir des équilibres entre les écosystèmes et la nature anthropisée, en rapprochant les lieux de production des lieux de consommation, et d'être vertueux sur le plan de la préservation du patrimoine immatériel de la nation, en protégeant et transmettant sa production culturelle, ses savoir-faire et modes de vie.
Le "bien manger" au cœur du mode de vie latin
C’est cette approche particulière à l'échelle locale qui a permis aux pays latins d’être généralement mondialement reconnus comme des pays où la gastronomie et le « bien manger » présentent une importante centrale dans la vie, dans l’économie et dans l’identité collective. Les vins, les fromages, les pains, les légumes et les viandes préparées de milles façons se déclinent selon les caractéristiques bioclimatiques de chaque région, chaque plateau, chaque vallée, chaque côteau. Ce sont les produits directs des paysages et des terroirs travaillés par les hommes depuis des milliers d’années et qui ont su donner leur noms à des productions culinaires appréciées dans le monde entier, le nom d'un village, d'une région, d'un fleuve, d'une montagne…

Traditionnellement, en terres romanes, manger n’est habituellement pas réduit à un simple besoin biologique. Le temps des repas est traditionnellement porteur d’autres sens, celui de la convivialité, du partage ou de la famille ou de la discussion, « nous ne mangeons pas pour vivre, mais nous vivons pour manger »,
Le monde occidental moderne a souvent des incompréhensions face à l’idée d’avoir des pauses déjeuner de deux heures le midi et des repas de famille durant des après-midi entiers les dimanches.
Ces modes de vie sont perçus comme des pertes de temps inutiles, temps qu’il serait mieux de passer à produire des richesses. Pourtant, passer des moments avec à échanger avec ses collègues, ses amis devant un plat de qualité et un verre de vin du pays n’est pas un temps perdu ou une tradition d’un autre âge à éliminer. C’est une richesse de partage, une plus-value de sens allant au-delà du besoin pur. Les repas de dimanches en famille, même s’ils peuvent parfois paraitres interminables ou obsolètes, sont des temps de partage, de solidarité familiale d’une richesse irremplaçable qu'il serait dommage de perdre.




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