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Le syncrétisme culturel : nécessité d’un creuset civilisationnel fort - exemple du Mexique

  • Luc Delmont
  • 28 juil.
  • 5 min de lecture

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Le syncrétisme culturel ou créolisation en Amérique latine


L’Amérique latine est depuis ses origines un véritable mélange de cultures, fruit d’une histoire complexe marquée par la rencontre de trois grandes civilisations : les peuples indigènes autochtones, les colonisateurs européens (principalement espagnols et portugais), et les populations afro-descendantes issues de la traite négrière.


Ce brassage historique a donné naissance à un processus de syncrétisme culturel, souvent désigné par le terme de créolisation. contrairement à un usage déformé du terme par certain mouvements idéologiques de gauche radicale, ce phénomène ne se réduit pas à une simple coexistence de cultures, mais correspond à une fusion dynamique dans un creuset commun où s’entremêlent langues, croyances, pratiques sociales, expressions artistiques et modes de vie.


Par exemple, la religion en Amérique latine illustre parfaitement ce syncrétisme : les croyances catholiques introduites par les colons européens ont été mêlées aux spiritualités indigènes et africaines, donnant naissance à des pratiques spécifiques comme la Santería à Cuba, le candomblé au Brésil ou encore le Día de los Muertos au Mexique. De même, la langue espagnole ou portugaise s’est enrichie de mots d’origine amérindienne ou africaine, tandis que les musiques populaires sont le fruit de métissages rythmiques et mélodiques profonds.


La créolisation est donc un processus créatif, un remaniement permanent des héritages culturels qui permet aux sociétés latino-américaines de se forger une identité singulière, ni européenne pure, ni indigène ou africaine uniquement, mais une synthèse nouvelle et vivante.



Exemples de syncrétisme ou créolisation culturelle au Mexique


Le Mexique est un des pays où ce syncrétisme est le plus visible et le plus emblématique. La culture Mexicaine est cette fusions d'éléments Européens et Amérindiens forts dans le creuset civilisationnel latin, à l'origine d'une culture unique et fascinante.


1. Religion


  • Día de los Muertos : Cette fête mêle les croyances indigènes (notamment aztèques) sur le cycle de la vie et de la mort avec les fêtes catholiques européennes de la Toussaint et des Âmes. L’usage des calaveras (crânes en sucre), les autels d’offrandes (ofrendas), et les marigolds (cempasúchil) sont autant de symboles issus de ce mélange.


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  • Catholicisme populaire : Les saints catholiques sont souvent associés à des divinités ou esprits indigènes. Par exemple, la Vierge de Guadalupe, symbole national, est vue comme une fusion entre la figure catholique et la déesse tonale (divinité de la terre) Tonantzin.


apparition de la "virgen de Guadalupe"
apparition de la "virgen de Guadalupe"


2. Cuisine


  • La cuisine mexicaine est un exemple majeur de syncrétisme

    • Les ingrédients indigènes comme le maïs, le cacao, les piments, la tomate sont à la base des plats traditionnels.

    • Les techniques et aliments européens introduits (porc, bœuf, poulet, épices comme la cannelle, les oignons, l’ail) se sont intégrés aux recettes autochtones.

    • Des plats emblématiques comme les tamales, les mole poblano (mélange complexe d’ingrédients indigènes et européens), ou encore les tacos incarnent cette fusion.


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3. Architecture


  • La ville de Mexico elle-même est bâtie sur les ruines de Tenochtitlán, capitale aztèque, symbolisant la superposition des cultures.

  • Les églises coloniales baroques incorporent souvent des éléments décoratifs issus des arts indigènes (motifs floraux, figures animales).

  • Le style architectural mestizo (métis) combine les techniques européennes avec des symboliques amérindiennes, visible dans des lieux comme le monastère de San Miguel Arcángel à Huejotzingo.


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4. Artisanat


  • Les textiles mexicains mêlent des motifs précolombiens (géométriques, symboliques) à des techniques européennes (broderie, tissage à la main).

  • La poterie, notamment les céramiques de Talavera (Puebla), combine des influences espagnoles (faïence) et indigènes.

  • Les masques traditionnels, utilisés lors des danses folkloriques, reflètent souvent ce syncrétisme entre mythologies autochtones et personnages chrétiens.



La "créolisation" nécessite la présence d'un creuset civilisationnel fort


Ce qui distingue le syncrétisme ou la créolisation d’une simple coexistence multiculturelle, c’est qu’il suppose l’existence d’un terrain commun — un creuset civilisationnel — suffisamment fort pour que les différentes composantes culturelles puissent dialoguer, s’influencer et se transformer mutuellement.


Dans le cas de l’Amérique latine, ce creuset est souvent désigné par le concept de latinité. La latinité, c’est d’abord la langue commune (le castillan ou le portugais), mais aussi un héritage culturel européen partagé (le droit romain, la religion catholique, certaines valeurs sociales), qui agit comme un socle unificateur.


Sans ce socle, la simple juxtaposition de cultures distinctes tend à créer un multiculturalisme où les groupes vivent en parallèle, sans réelle interaction ni fusion. Le syncrétisme, en revanche, exige que les barrières culturelles soient assez poreuses pour permettre un métissage véritable, ou "créolisation" où les influences circulent librement, nourrissent des créations hybrides et forgent une identité collective.


On peut comparer cela à un creuset : il ne suffit pas de mettre plusieurs métaux côte à côte, il faut les faire fondre ensemble pour obtenir un alliage homogène. De même, la latinité en Amérique latine a agi comme un feu culturel capable de faire fondre les divers héritages et d’en faire naître une culture nouvelle, riche et unifiée.



Pourquoi le syncrétisme ne peut exister dans une société "multiculturelle"


Dans une société multiculturelle classique, on trouve souvent un pluralisme de cultures distinctes qui coexistent, mais qui ne se mélangent pas spontanément. Chaque groupe tend à garder ses pratiques, ses langues, ses valeurs, et les interactions sont parfois limitées à des échanges superficiels ou, parfois, conflictuels lorsque les modèles ou valeurs divergent trop profondément.


Le syncrétisme nécessite au contraire une interaction profonde, une capacité à transcender les différences pour inventer de nouveaux codes culturels partagés. Cela suppose un projet commun, une histoire collective, et des institutions ou symboles capables d’incarner cette unité.


Sans ce projet commun ni ce socle partagé, le mélange culturel reste fragile, voire impossible. Le multiculturalisme, tel qu’on le pratique parfois aujourd’hui dans des sociétés très diversifiées, peut favoriser la coexistence pacifique, mais rarement la fusion ou la création d’une identité nouvelle partagée.



Conclusion


Le syncrétisme culturel en Amérique latine est une expression puissante d’une "créolisation" historique née de la rencontre de mondes divers, rendue possible par un creuset civilisationnel fort : la latinité. Ce socle commun a permis aux cultures indigènes, africaines et européennes de se fondre en une identité nouvelle, dynamique et profondément enracinée.


Comprendre cette distinction entre syncrétisme/créolisation/assimilation et multiculturalisme éclaire les enjeux actuels des sociétés contemporaines : au-delà de la coexistence, comment bâtir des ponts durables et créatifs entre les cultures ?


La réponse pourrait bien résider dans la nécessité de maintenir un creuset civilisationnel capable d’accueillir et de fondre ensemble la diversité. Ce creuset, nous l'avons déjà.






Bibliographie indicative


  • Fernando Ortiz, Cuban Counterpoint: Tobacco and Sugar (1947) — fondamental pour comprendre la créolisation dans les Caraïbes.

  • Nestor García Canclini, Culturas híbridas (1990) — une réflexion majeure sur le métissage culturel en Amérique latine.

  • Guillermo Bonfil Batalla, México profundo: una civilización negada (1990) — sur la continuité indigène dans la culture mexicaine.

  • Jean Meyer, La religiosidad popular en México — analyse du syncrétisme religieux.

  • Articles et études sur l’artisanat mexicain dans Journal of Latin American Anthropology.


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