Les valeurs sociales spécifiques face au libéralisme globalisé
- Luc Delmont
- 4 déc. 2021
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Dernière mise à jour : 13 juin
Des valeurs particulières portées par l'héritage culturel catholique

Le tour de force du capitalisme anglo-saxon est d’être parvenu à imposer la vision de la vie et du travail issue de l’éthique protestante comme la seule norme rationnelle sérieuse et valable. Depuis un certain nombre d’années, l’utilisation de termes politico-économiques prétendument rationnels sont employés dans les débats publics. Il est question d’austérité, parfois même d'une ascèse que l'on doit appliquer aux pays du Sud de l’Europe pour les redresser, les faire revenir vers un esprit de responsabilité et de rigueur prétendument universel et objectif. Vu depuis le monde Protestant, qu'il soit du nord de l'Europe ou d’outre Atlantique, une imagerie persistante colle à la peau de l’Europe méditerranéenne faite, selon ce point de vue, d'un monde frivole d’oisiveté et de plaisirs irresponsables. Cet imaginaire protestant dont la mission serait de combattre l’oisiveté et le dévergondage pécheurs du Sud et de lui faire adopter de force la vertu nordique transparait dans les discours dominant les instances de la gouvernance de l’Union Européenne actuelle.
La Plupart des responsables politiques des pays du Sud ont d'ailleurs déjà largement intégré la rigueur libérale et ont parfois même recours à la culpabilité pour la faire accepter : "Les Allemands, eux, acceptent de travailler dur et de gagner peu." L’Europe latine et méditerranéenne a été colonisée à son insu, ses responsables politiques ne parlent plus de bonheur, de sens ou d'épanouissement durable, mais principalement de croissance et de PIB, à l'instar du monde Anglo-saxon.
Le drame réside dans le fait que les soutiens de cette idéologie emprunte d’éthique protestante sont persuadés qu’ils agissent rationnellement. Dans le monde moderne, il ne pourrait être autrement que de suivre cette voie, qui n’est généralement perçue comme universelle, plutôt que liée à une vision particulière d'une partie du monde. Les tenants de cette idéologie la présentent toujours comme une indéniable évidence. Il faut qu’ils admettent qu’elle relève d'un choix politique et philosophique, et qu’un autre modèle dépend tout aussi d’une autre conception de la finalité et de la vie humaine.
Or, de toute évidence, cette approche n’a rien d’absolue et universelle et n’est en rien liée à ce que devrait être la modernité. Il s’agit d’une vision héritée de l’évolution des valeurs dans l’Europe du nord à partir de la lecture idéologique particulière héritée du prisme protestant.
D’une certaine façon, le discours économique dominant et les stéréotypes portés par l’Europe du nord révèle, maladroitement, une différence d’approche fondamentale, non seulement de l’économie, mais de la vie en général.
En réalité, il n’y aurait pas d’un côté, les fourmis du nord, sérieuses et travailleuses, et de l’autre côté les cigales du sud, faignantes et oisives, mais une vision de la société distincte. Malgré le fait que beaucoup de citoyens Européens n’adhèrent plus nécessairement à titre personnel à une religion spécifique, il existe toujours des clivages profonds hérité de la matrice religieuse dans la façon d’aborder la société, les rapports humains, et la vie en général.
L’Europe d’héritage Protestant place la gestion rigoriste et l’accumulation, via le travail, d’argent comme un objectif quasiment divin. Chaque individu, pour espérer une rédemption dans l’au-delà devrait s’appliquer une purification par le travail et l’accumulation de richesses.
Nous voyons bien au fur et à mesure des années combien ce modèle dominant, d’origine nord-Européenne, s’impose avec difficulté sur les peuples latins, que ce soit en Europe, mais aussi en Amérique latine, dont il est en contradiction avec les aspirations profondes des populations. Dans l’Europe Catholique, l’argent n’est qu’un moyen parmi de nombreux autres pour atteindre le bonheur. Sans être négligeable, l'argent n'est pas le cœur de toutes les attentions.
L’héritage catholique est souvent vu en France comme dénotant une appartenance idéologique conservatrice, donc classée plutôt à « droite ». Pourtant, cet héritage est en réalité porteur de valeurs habituellement considérées comme étant de « gauche », comme la méfiance envers l’argent, le sens du partage et le sens du collectif.
Même le rapport au divin est différent, là où le protestantisme incite à une relation directe à Dieu, sans intermédiaire organisé, le catholicisme a construit un rapport collectif et incarné par une église structurée. Les sociétés protestantes et catholiques se sont construites de façon opposées. D’un côté l’universalisme catholique, qui transcende les individus et de l’autre un type de société plus l’individualiste, ou l'appartenance à une petite communauté est la pièce maitresse.
Ce n’est pas un hasard si la révolution française a eu lieu dans le plus vieux pays catholique du monde. La matrice catholique est au cœur des instances de notre culture depuis la seconde partie de l’époque Romaine, pour le meilleur et pour le pire. Quelque soient nos croyances personnelles ou notre orientation politique, quel que soit le regard que l’on porte sur cette matrice, nous en sommes tous le fruit, droites et gauches confondues. La république française, si particulière, avec tous les attendus et égards que l’on a pour elle en termes de protection et de sens commun, est une émanation directe de l’esprit du catholicisme, qui se serait simplement débarrassée de Dieu. La gauche française et son idéal universaliste, traditionnellement très attachée à la république, est, elle-même sans le vouloir, un produit unique de la nature catholique de la France.


Nous le voyons, face à la domination d’une société globale moderne forgée de la matrice Protestante, focalisée sur l’individu et l’accumulation des richesses comme but en soit, une redécouverte et valorisation de l'héritage éthique du catholicisme peut constituer une base pour reconstruire une société plus juste, plus solidaire et porteuse d'un sens collectif oublié par la déconstruction moderne.



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