L'identité latine : un processus d'assimilation-métissage
- Luc Delmont
- 3 déc. 2021
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 juin

Une approche inclusive face aux dérives identitaires
En 2020, les mots "wokisme" ou "racialisme" ont fait leur apparition fracassante en France dans les médias, les actions militantes, les polémiques ou les discours politiques, que ce soit pour les critiquer, ou au contraire pour en faire l'apologie.
Ces termes semblent nouveaux mais ils traduisent en fait l'irruption et la normalisation dans le débat public français des approches communautaristes de l'identité ancrées depuis longtemps dans la culture anglo-saxonne.
Ces approches ont débarqué en France et se renforcent d’année en année, à l’image d’un raz-de-marée imposant un nouveau modèle de société que l'on ne peut plus vraiment appeler nation, éclaté en de multiples identités communautarisées se côtoyant les unes des autres dans le meilleur des cas, et s'affrontant aussi parfois dans d'autres cas.
Le "wokisme" : croisement explosif entre déconstructionisme et racialisme Anglo-Saxon
Ces concepts identitaires se sont développées à partir du croisement improbable entre les théories déconstructionnistes françaises et le fond culturel hyper-racialisé de la société Américaine, marquée depuis ses origines par la ségrégation sur base raciale.
Elles se traduisent aujourd'hui par un certain nombre de prises de positions polémiques dans les débats médiatiques ou dans les rapports sociaux du quotidien : mises en accusations ou assignations à résidence communautaires. Elle constituent des attaques répétées contre la cohésion nationale en implantant dans les esprits l'idée que l’identité ne pourrait et ne devrait être abordée que du point de vue de l'origine ethnique individuelle, diabolisant ainsi toute possibilité d'ancrage à une identité collective, régionale ou nationale, qui transcende la diversité génétique des individus.
L'enfermement identitaire racial jusqu'alors porté par les ségrégationnistes est maintenant hypocritement présenté par les mouvements "woke" de façon "positive", comme étant une émancipation ou une volonté de « progrès » visant à aider les individus à s'arracher à l'héritage géographiques, historiques et culturels des territoires auxquels ils appartiennent. Cette façon de penser s'impose sournoisement et paradoxalement comme un marqueur du "progressisme".
Le phénomène n'est en fait pas vraiment nouveau. Il n'est que l'aboutissement et la radicalisation de l'idéologie multiculturaliste, à laquelle une grande partie de nos dirigeants, en particulier à gauche, se sont convertis depuis plusieurs décennies. Définie par le sociologue Québécois Mathieu Bock-Coté comme une « inversion du devoir d’intégration », l'idéologie multiculturaliste proclame que ce n’est plus aux nouveaux arrivants de s'approprier la culture du territoire d'accueil, mais c’est dorénavant à la société et au peuple d’accueil de faire preuve d’«ouverture à l’autre », en acceptant de partager son territoire avec d’autres peuples, d'autres cultures, d'autres folklores, mais aussi, et c'est plus problématique, d’autres codes sociaux, voire d'autres lois et d'autres mœurs.
Masqué derrière un visage de vertu et de respectabilité morale, le modèle de société multiculturaliste avance de façon progressive dans nos sociétés occidentales, mettant à mal leur cohésion. Générant ainsi, au mieux un émiettement de communautés régies chacune par des codes sociaux différents, au pire des affrontements communautaires, ethniques, raciaux ou religieux.
De nombreuses instances, notamment politiques ou médiatiques, souvent par aveuglement idéologique et moral, refusent de remettre en cause cette approche multiculturaliste de l’identité. Cependant, les actualités récentes montrent à quel point cette question est source d’angoisse existentielle pour de nombreux concitoyens qui craignent de voir la culture latine de la France, autrefois ciment de la société, devenir petit à petit plus qu’une « communauté culturelle » parmi d’autres, en compétition avec d'autres cultures, d'autres peuple, sur le territoire qui l'a vu naître et se construire au fil des millénaires.
Le multiculturalisme est une approche impérialiste néo-libérale
Il est souvent dit, par les défenseurs du modèle multiculturaliste, que celui-ci incarnerait la liberté moderne qu'aurait chaque individu de pouvoir se définir comme il le souhaite, indépendamment de toute attache historique au territoire sur lequel cet individu vit. Nous le voyons bien, il s’agit là d’une approche qui se présente d'une façon ultra-libérale, ne concevant la société que comme une simple addition de désirs individuels que rien ne devrait contraindre, voyant ainsi toute structure collective, dont l'état-providence ou la culture régionale ou nationale comme un système oppressant à déconstruire.
Cette pensée est en fait une négation de ce qui fait toute société. C'est à dire en niant sa dimension collective, en cherchant à diaboliser le creuset assimilationniste qui seul permettait pourtant de dépasser l'enfermement lié à la nature "ethnique" de chaque individu. Cette conception nie le fait que la majeur partie de notre identité est intrinsèquement liée à notre inscription au sol, au contexte géographique, historique et culturel dans lequel nous vivons, et ne pourrait être réductible à nos origines ethniques ou génétiques.
Toute culture est née d’un territoire. Or, un territoire, ce n’est pas qu’une terre vide de toute anthropisation, de toute culture. Au contraire c’est la rencontre d’un sol et des stratifications humaines qui l’ont façonné, parfois pendant des millénaires. Nier l'existence de ces réalités culturelles relève d'une forme nihilisme destructeur, d'une volonté d'effacement de l'histoire pour ne laisser la place qu'à des identités hors-sols et culturellement globalisées se regroupant autour des critères les plus régressifs de l'humanité : la "race", la tribu, le clan.

Aux Etats-Unis, pays lourdement marqué par une longue et histoire de ségrégation raciale, l'identité première est toujours comprise par rapport à une appartenance individuelle à un groupe "racial" censé définir la personne de toute éternité. Dans la culture Américaine et y compris pour les services administratifs, chaque personne doit s'identifier à un groupe ethnico-racial via le formulaire du bureau de recensement. Sous la pression des idéologies de déconstruction dans les 40 dernières années le creuset de la société Américaine a été abandonné, le concept de "Melting Pot" a été remplacé par celui du "Salad bowl". Avec le développement de la discrimination "positive", et aujourd'hui de la culture "woke", cette obsession pour la catégorisation raciale des individus ne fait que s'exacerber. Le mélange, le métissage au sein d'un creuset commun est diabolisé par le progressisme qui n'y voit que contrainte et oppression.
Le multiculturalisme, en niant le rapport entre le territoire et l’identité réimporte au cœur de notre société l’idée dangereuse que ce serait l’héritage individuel, notamment génétique, qui définirait l’identité de chacun. Chaque individu ayant un parcours particulier, cette approche produit un type de société fondamentalement différencié et distendu, constitué d’archipels identitaires mentaux, voire de véritables ghettos physiques.
A partir du moment où le multiculturalisme impose l'idée que la nation d'accueil n'a pas d'identité propre à partager avec les nouveaux arrivants, se développe alors spontanément et naturellement des regroupements dans des « communautés » dissociées de tout enracinement territorial à la nation dans lesquelles elles ont implantées. Ces sociétés multiculturalistes se présentent alors comme des ensembles divisés en une multitude de groupes ayant chacun leurs caractéristiques génétiques, références culturelles, codes sociaux, noms, apparences vestimentaires, modes de vie et de consommation... Les revendiquant souvent dans une logique d'opposition à la société d'accueil, de façon parfois agressive.
Le « repli communautaire » qui devrait être perçu comme une étape ponctuelle et logique dans un parcours d’assimilation normal, est pérennisé générations après générations sous l’effet de l’application de l’idéologie multiculturaliste, pour laquelle l’assimilation, est diabolisée, et n’a donc pas à avoir lieu. Les nouveaux immigrants se voient alors, souvent de façon plus ou moins inconsciente, assignés à résidence identitaire dans un statut de minorité marginalisée, voire ghettoïsée par rapport au peuple historique, à l'instar des sociétés marquées par les idéologies ségrégationnistes et suprématistes.
Multiculturalisme et ségrégationnisme sont deux faces d’une même pièce
Un grand nombre d’entre nous prennent conscience que, loin d’être la doctrine de progrès qu'elle prétend incarner, l’approche multiculturaliste génère en réalité des sociétés de ségrégation ethnico-culturelle diamétralement à l’opposé des idées de progrès et de vivre ensemble que la notion de progrès devrait normalement traduire.
Nous savons tous que le multiculturalisme qui se développe aujourd’hui dans l’ensemble du monde occidental est une importation anglo-Américaine. Depuis les années 60/70 le monde Anglo-Saxon ayant troqué, sous la pression d’activistes militants, le concept de « melting pot » pour celui de « salad bowl ». Ce dernier concept revendique, dans une volonté affichée de "progrès", la défense de la liberté individuelle de pouvoir décider ne pas faire partie de la culture et de la société du territoire sur lequel l’on vit. L’assimilation au peuple majoritaire ou à la culture nationale y est présentée comme oppressante, néo-coloniale voire fascisante, et devrait donc ainsi être rejetée avec force.
Mais en réalité, le type de société qui en ressort n’est absolument pas nouveau aux Etats-Unis, ni dans le monde Anglo-Saxon en général. Bien avant les années 60 et le passage de l'assimilation (melting pot) à la juxtaposition raciale, la société Américaine était déjà fortement divisée selon des angles ethnico-raciaux. Cet état de ségrégation communautaire est intrinsèquement lié à la société Anglo-Saxonne.
La société Américaine a toujours été divisée entre une culture et un peuple « mainstream » constitué essentiellement des descendants des peuples d'Europe germanique (Anglais, Allemands, Hollandais, Scandinaves, etc.), marqués par leur culture et leur éthique religieuse issue du protestantisme. Les vagues migratoires d’autres origines se sont constituées dès l'origine en communautés distinctes. Au début du 20ème siècle, les descendants d’Irlandais ou d’Italiens, parce que catholiques, étaient considérés comme faisant partie d’une autre catégorie raciale que la population WASP (White Anglo-Saxon Protestant). Les descendants des esclaves noirs n’étaient, quand à eux, pas considérés du tout, même s'ils étaient de langue Anglaise et de religion Protestante, du fait de la couleur de peau.
Nous observons tous que la société Anglo-saxonne d’aujourd’hui, après 50 ans d’application d’idéologie multiculturaliste et de discrimination "positive" reste toujours littéralement obsédée par le concept de « race » pour définir les identités. Aujourd'hui, sous la pression du wokisme, poussant parfois jusqu'à l'auto-ségrégation, les catégories raciales deviennent de plus en plus étanches les unes aux autres sur le plan culturel. Ceci est clairement visible avec l'apparition du concept d'appropriation culturelle, pour lequel des expressions culturelles figées sont assignées aux individus selon l'appartenance ethnique. Ainsi, une personne noire sera vue comme étant "traitre à sa communauté" si elle apprend la musique classique, mange un certain type de nourriture, vit dans un quartier "blanc" ou est en couple avec une personne "blanche". Chacun doit selon ces nouvelles normes morales rester bien sagement dans les stéréotypes culturels sensés être associés à sa couleur de peau.
Je pense que ce modèle de société ne devrait en aucun cas pouvoir être qualifié de « progressiste » tant il représente en fait la véritable continuité de pensée avec le modèle de société de ségrégation raciale, qui, aux Etats-Unis, l’a précédé.

A gauche, une schématisation du modèle de société dit « multiculturel ». Dans ce type de société, les personnes issues de l’immigration ne peuvent s’intégrer qu’à l’entité politique du pays (citoyenneté). L’appartenance ethnique, elle, ne change pas. Les immigrés et leurs descendants sont invités à conserver leurs identités au sein de « communautés » reproduisant la culture et les modes de vie du pays d'origine dans le pays d'accueil. Le peuple "historique", quant à lui, se retrouve alors mis en compétition sur son territoire, du fait de l’accroissement démographique des communautés minoritaires au fur et à mesure de l’arrivée de nouvelles vagues migratoires. Ceci amène ainsi à une société éclatée selon des critères ethniques, fonctionnant de façon tout à fait similaire à une société ségrégationniste (à droite). La seule différence entre des deux approches étant, dans le cas de la société ségrégationniste, le rejet de la majorité historique envers les communautés minoritaires. En réalité, il s’agit d’une même approche de la société, qui n'est capable d’aborder la notion d’ethnicité et d’identité que dans un sens racial ou génétique. La société multiculturaliste, loin d’être l’antithèse de la société ségrégationniste en est l’alter-égo. Ces deux conceptions étant le miroir l’une de l’autre, se nourrissant mutuellement... et menant l'une à l'autre.
En France, un autre modèle est possible et nécessaire
En France, depuis un certain nombre d’années, le multiculturalisme fait l’objet d’une confusion, souvent consciemment maintenue par ses promoteurs. Elle y est en effet présentée comme incarnant des valeurs positives comme l’antiracisme, et se présentant ainsi comme un modèle de société prétendument vertueux, ouvert, tolérant et inclusif.
En fait, le multiculturalisme est avant tout une idéologie d'exclusion, marquée par le rejet de la société d'accueil, de son peuple et de sa culture. Les raisons de ce refus sont pourtant souvent présentées sous l’angle de la bienveillance, le processus d’assimilation étant dorénavant caricaturé comme étant une démarche coloniale, les sociétés occidentales imposant aux nouveaux arrivants de se plier à la culture et aux us et coutumes des pays d’accueil. Ce qui est un processus parfaitement normal et attendu dans tous pays, a soudainement été diabolisé en étant dépeint comme le signe d’une oppression occidentale arrogante et raciste.
Cette pensée « décoloniale » s’est naturellement développée dans le contexte des colonies et anciennes colonies établies par les différents pays d’Europe de l'ouest. C’est au départ une revendication pouvant trouver sa légitimité dans des pays ou des populations autochtones ont été soumises et assimilées par la force à d’autres cultures.
Là où le problème se pose c’est quand une certaine pensée décoloniale s’est mise à répandre dans les esprits une confusion entre la situation des anciennes colonies et la situation en Europe. Au nom du droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes, il était légitime de dénoncer l'injustice des démarches d’assimilation qu’avait engagé la France et d'autres pays à l’encontre des peuples autochtones de leurs colonies, en déstructurant leurs sociétés et en effaçant ou marginalisant des cultures souvent millénaires.
A l'inverse, il est aujourd'hui absurde de justifier le rejet de l’assimilation à la culture française sur le territoire Français pour ces mêmes raisons. Et ce, pour la simple raison que dans ce cas c’est justement le principe humaniste de respect des cultures autochtones locales qui est bafoué par les mouvements décoloniaux et par l'idéologie multiculturaliste en général.
Ce qui est dénoncé à juste titre dans un cas ne peut pas être promu dans lorsqu’il s’agit d’autres pays. Cette attitude de double langage, de double mesure portée depuis maintenant plusieurs décennies dissimule mal en réalité une motivation plus liée à une certaine idée de vengeance historique contre l’occident, plutôt que d’être le fruit d’une volonté humaniste de défense de la diversité culturelle du monde, comme cela était le cas à l’origine. Il y a quelque part une escroquerie intellectuelle qui devient difficile de masquer.
Depuis des décennies, sous pression de ces idéologies culpabilisantes, nous avons été amenés rejeter tout principe d’assimilation en considérant qu'il relèverait de l'expression d'une volonté de subordination néocoloniale. Il semblait laisser supposer qu’il existait un clivage simple et clair entre deux pensées antagonistes, d’un côté un camp du « progrès », de l’antiracisme et anti-colonialisme, qui défendait nécessairement une vision multiculturaliste, et de l’autre côté un camp qui incarnerait le repli ethnique, le racisme, voire le suprématisme blanc. Cette vision manichéenne visait en fait à anesthésier les critiques du modèle multiculturaliste, laissant supposer que toute personne s’y opposant serait une personne raciste ou haineuse.
Devant de telles accusations, en France, il est devenu prudent de ne pas affirmer avec trop d'entrain son attachement à l’assimilation républicaine qui a pourtant permis à des millions de citoyens français originaires des quatre coins du monde de faire aujourd’hui pleinement partie du peuple français.
En condamnant moralement le principe d’assimilation, et en incitant les nouveaux arrivants à cultiver leurs identités d'origine, les responsables politiques, médiatiques et intellectuels des dernières décennies ont directement participé aux processus d’éclatement de la société française selon des lignes ethnico-culturelles, ce qui entre en contradiction frontale avec notre idéal latin d’une société de mélange, d’intégration et de métissage.
Finalement, la société multiculturaliste défendue aujourd’hui principalement par la gauche n’est en rien le contraire de la société ségrégationniste de l’extrême droite. D’une certaine façon, nous pouvons même dire que ces deux visions sont en fait les deux faces d’une même conception racialiste de la société.
Seule l'approche d'assimilation et de métissage permet de rassembler dans un même creuset national des individus dont les parcours historiques et familiaux peuvent diverger. L’approche assimilationniste que portait traditionnellement la France avait en elle les outils permettant de trouver des réponses aux enjeux identitaires que pose notre époque.
Nous sommes déjà un peuple né d'une assimilation et d'un métissage millénaire forgé au travers de notre creuset civilisationnel commun. Ce modèle a fait ses preuves à travers les siècles et nous permettra, si nous acceptons de renouer avec lui, de ne pas avoir à choisir entre multiculturalisme de gauche et ségrégationnisme d'extrême droite, qui sont en réalité la même société, deux approches racialistes qui ne correspondent pas à notre identité latine profonde.




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