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La France perd son latin

  • Luc Delmont
  • 23 déc. 2021
  • 11 min de lecture


La France, localisée au cœur de l’espace de l’Europe latine, entre l’Italie et la péninsule Ibérique, est une héritière de Rome. De par sa culture héritée de la colonisation Romaine d’une part, et d’autre part aussi par la filiation spirituelle particulière qu’elle a entretenu au fil des siècles avec l’église Catholique Romaine.


Linguistiquement ou culturellement, rien ne permet en principe d’exclure la France du groupe des nations de langues et de cultures Romanes. Pourtant, pour nombre de nos concitoyens, l’idée que la France ne serait pas réellement une terre appartenant au monde latin reste très présente.


L'Europe latine comprend les pays de langues et de cultures Romanes : Italie, Espagne, Portugal, mais aussi Roumanie, Moldavie, Wallonie, Suisse Romande et Tessin.


Cette idée est sous-tendue par le fait que le concept de latinité, notamment sous l’influence de la culture populaire mondialisée d'origine Américaine, s’est progressivement teintée d’une vision « exotique » depuis l’après seconde guerre mondiale.


Avant cette période, il ne faisait aucun doute pour nos compatriotes que nous étions un pays latin, toute notre histoire en témoignait. Au XIX c’est d’ailleurs à partir de la France que s’est faite la promotion de la notion d’Amérique latine pour désigner les espaces de langues et de cultures Hispaniques, Lusophones et Francophones dans le nouveau monde, L'appellation "Amérique latine" entre en circulation vers 1856-1860 en France. Le premier à l'avoir employée est sans doute un Colombien en exil à Paris, J.M. Torres Caicedo, dans un poème publié en 1856, puis dans deux essais, « Bases para la formación de una liga latinoamericana » et « Unión latinoamericana. »


A partir des années 20, lorsque l’industrie naissante du cinéma Hollywoodien développait le stéréotype du « latin lover », cela faisait référence aux acteurs ou crooners originaires d’Europe du sud, notamment en provenance d’Italie (Rudolf Valentino) ou de France (Charles Boyer, Maurice Chevallier, Yves Montant). Dans la culture populaire, le terme « latin » faisait alors unanimement référence aux peuples et pays dont l’héritage culturel provient de Rome et des langues issues du latin, incluant la France sans ambiguïté.


D’ailleurs, jusqu’à sa dissolution en 2012, l’Union Latine, organisme international chargé depuis 1957 de la promotion et défense de l’héritage des pays de langues Romanes à travers le monde, avait son siège à Paris. C’est à partir de la seconde guerre mondiale que le terme « latin » commence à prendre petit à petit une coloration différente, via les Etats-Unis.


Pays membres de l'Union Latine, dont le siège était à Paris, dissoute en 2012


Du fait de leur proximité et des disparités économiques, des mouvements migratoires importants se sont engagés entre l'Amérique centrale et l’Amérique Anglo-Saxonne. Des communautés se sont constituées et revendiquées en tant que minorités ethniques sur le sol Américain, regroupant les descendants d'immigrés originaires de différents pays d’Amérique latine, principalement du Mexique ou de Porto Rico et Cuba, Le terme Chicano, d’abord utilisé pour désigner les Américains d’origine Mexicaine a progressivement laissé la place au terme « hispanique » pour désigner les personnes originaires de pays Hispanophones, puis, à partir des années 1970, le terme « latino » est entré dans la langage courant aux Etats-Unis.


Les expressions « latino » et sa forme anglicisée de « latin », ou aujourd’hui "latinx" (pour sa version "inclusive" promue par les mouvements woke), sont alors devenus synonymes de « latino-Américain hispanophone », excluant ainsi les habitants de l'Europe latine de leur qualificatif historique, et excluant aussi souvent les territoires d’Amérique latine non-hispanophones tels qu’Haïti et le Brésil.


Dans cette acception restreinte, le terme s’est rapidement coloré de connotations spécifiques des Pays d'Amérique centrale et caribéenne, d’où sont originaires les populations latino-Américaines s'installant en Amérique du nord. Aux Etats-Unis, l’idée s’est progressivement imposée que le terme « latino/latin » ferait exclusivement référence à une série de caractéristiques culturelles liées à ces régions d’Amérique intertropicale. C'est ne cas notamment de la cuisine Mexicaine, dont les racines sont pourtant essentiellement Amérindiennes (tortillas de mais, tacos, cuisine épicée), ou les musiques caribéennes dont les rythmes, bien qu'étant d’origine Africaine, sont souvent qualifiés de « rythmes latins ».


Plus largement, la société Américaine étant très orientée vers la classification raciale des individus, le terme « latino / latin » est rapidement devenu une catégorie ethnico-raciale pour désigner les métis. En effet, la plupart des Américains d’origine latino-Américaine étant des « mestizos », terme utilisé dans les pays hispanophones pour désigner les personnes issus du métissage génétique entre Amérindiens et colons Espagnols. Toutes ces connotations ont été progressivement intégrées dans la culture populaire Américaine, puis de façon subliminale, diffusées au reste du monde par le biais des médias, de l’industrie Hollywoodienne et d'internet.


En France, cette conception Américaine du terme « latin » entre en conflit avec l’acception historique du terme. Une certaine confusion s’installe dans les esprits de nombreux français rejettent alors le qualificatif, qu’ils pensent être associé à une imagerie étrangère. Ces stéréotypes pouvant être positifs (pays tropicaux exotiques, porteurs de cultures colorés, aux musiques dansantes), ou plus négatifs (pays en voie de développement, sujets à l’émigration massive ou gangrénés par les cartels de la drogue). Dans tous les cas, cet imaginaire mondialisé que les Etats-Unis ont appliqué au concept de la latinité nous pousse à nous en exclure de nous-mêmes.


Cette définition moderne de la latinité est devenue tellement restreinte que d'autres pays latins ne s’y retrouvent plus non plus : le Brésil en tant que pays lusophone, l’Argentine ou l’Uruguay, voire le Chili en tant que pays tempérés et majoritairement d'origines génétiques Européennes, les pays francophones des caraïbes du fait de ne pas être de langue Espagnole, et évidement les pays latins d’Europe, du fait de ne pas être situés dans les Amériques, ont tendance à être exclus de l’acception populaire et moderne du concept.


En fait, nous pouvons dire que dans l’imaginaire collectif contemporain, le concept de latinité a été quelque part vidé de son sens initial puisque les pays qui en étaient l’origine viennent à en être exclus. D’un autre côté, des aspects originellement extérieurs à la latinité sont venus à être considérés comme des critères de définition, comme le fait de devoir posséder des origines extra-Européenne. Au 21eème siècle, le concept de « latin / latino » est évoqué aux Etats-Unis, et par extension dans le reste du monde imprégné d'influences Américaines, c’est souvent pour affirmer une dimension identitaire qui s'opposerait à l’occident et l'Europe en général.


Une prise de distance voulue ?


D’une certaine façon, cet usage populaire et moderne du concept de latinité sert à mettre en exergue une coupure entre l’Amérique Latine (qui est volontairement exclue de la sphère Occidentale par Samuel Huttington dans son « choc des civilisations »), et l’occident sous influence Américaine. Inconsciemment, est subtilement diffusé l'idée que le fait d’être latin, signifierait faire partie d’une civilisation en opposition à l’occident, voire d’être d'une identité ethnique et culturelle fondamentalement non-occidentale.


Par effet de conséquence, ce qui était historiquement la référence du monde latin jusqu’à il y a quelques décennies en a été progressivement exclu dans la vision géopolitique moderne promue par la puissance Anglo-Saxonne.


Dans le monde selon Huntington, l'Europe de l'ouest est dans la sphère "occidentale" Nord Américaine, tandis que l'Amérique latine est considérée comme une "autre civilisation" distincte de l'occident.


Je ne pense pas que ce soit totalement le fruit du hasard. Il parait assez clair que ce phénomène de dissociation de l’Europe latine de ses racines historiques date de l’après seconde guerre mondiale. Avec le plan Marshall, l’objectif pour la puissance Américaine victorieuse est de faire entrer l’ensemble de l’Europe de l’ouest dans son aire d’influence économique et culturelle, et d’éviter que celle-ci ne tombe dans l’escarcelle de l’union Soviétique.


L’Europe du nord-ouest, partageant les mêmes racines germaniques et protestantes que les Etats-Unis, est forgée par une culture du libre-échange. Il semblait plus facile d’y développer naturellement un cadre économico-culturel de type anglo-Américain. Dans cette région, depuis des Pays-Bas jusqu'à la Scandinavie, la langue Anglaise et la culture libérale se sont imposées comme un vecteur d'unité. On comprend bien que de ce point de vue, tout ce qui pourrait être perçu comme une tentative de renforcer la latinité soit identifié comme un danger pour le maintien de cette hégémonie.


Les Anglo-saxons (principalement Etats-Unis, Canada et Angleterre), se souviennent que la France, au XIXème siècle, avait aidé à l’émergence d’une conscience latine dans les Amériques, en opposition à la volonté impériale de l’Amérique Anglo-saxonne. Dans cette perspective, l'intérêt du monde Anglo-Saxon est donc d’éviter à tout prix que cela se passe en Europe.


L’objectif non avoué de certaines élites acquises à la cette vision du monde occidental semble avoir été, implicitement, depuis l’après-guerre, de faire progressivement entrer la France dans la sphère culturelle et économique anglo-germanique. Pour cela, il s’agissait de d’imposer dans l’esprit des français l’idée que la place naturelle de la France serait dans une union rapprochée avec les pays d’Europe du nord-ouest, et non avec l’Italie, l’Espagne ou le Portugal. L'Europe du sud serait alors pensée comme une « périphérie de l’Europe », marquée par son insignifiance dans le monde moderne. Dans la pensée Anglo-Saxonne, La France, jouissant encore d’un certain prestige du fait de l’influence des lumières, ne peut qu’être dissociée du reste de l’Europe latine.


La conception de la notion d’« Europe de l’Ouest » issue de la vision Anglo-Saxonne moderne, telle qu’aujourd’hui couramment diffusée dans le monde, via notamment les médias Internet et imposée auprès de l’ONU. A droite, conception « d’Europe de l’ouest » selon le world factbook de la CIA, telle que présentée dans la page « western Europe » de Wikipedia. La France y est généralement associée, soit au Royaume-Uni, soit à l’Allemagne.


Les conceptions de « groupes régionaux » de l’Europe issues de la pensée Anglo-Saxonne, et illustrées ci-dessus, sont aujourd’hui promues par les principales instances mondiales, visant ainsi à imposer un certain agenda géopolitique. L’objectif plus ou moins non avouée est de faire entrer dans les consciences l’idée que le cœur de la civilisation « occidentale » serait l’ensemble constitué de la France et de l’Allemagne, reléguant l’Italie, l’Espagne ou la Grèce au rang de périphéries du monde occidental. De la même façon que l’Amérique latine est reléguée, selon la vision Américaine de Samuel Huntington, comme un ensemble périphérique, voire extérieur au monde occidental.


Il s’agit là bien entendu d’un contre-sens historique et civilisationnel absolu. Le concept originel « d’occident » étant né à la suite de la division de l’empire Romain en un empire d’occident, fidèle à l’héritage de Rome et notamment de l’église catholique Romaine, et de l’autre côté, l’empire Romain d’orient, amené à évoluer vers l’empire Byzantin orthodoxe, puis empire Ottoman musulman.


Le cœur de l’occident est donc à la base l’Italie, La France et la péninsule Ibérique, et, seulement dans un second temps les territoires d’Europe du nord, christianisés ultérieurement par l’intermédiaire de l’empire Carolingien qui a permis de créer un lien ponctuel entre les cultures latines et nord-Européennes.








Origine de la notion d’occident, issue de la division de l’empire Romain en empire Romain d’occident et empire Romain d’orient.


Rattacher symboliquement la France au monde Anglo-Germanique est une façon pour la civilisation anglo-saxonne de s’approprier l’héritage intellectuel Gréco-latin dont elle n’est pas l’héritière directe, tout en excluant les pays qui en sont les héritiers directs (comme l’Italie ou la Grèce),


Avoir la France intégrée dans sa sphère d’influence rapprochée est donc fondamental pour l'occident Anglo-Saxon. C'est pourquoi une stratégie de pénétration de la culture Anglo-Saxonne a été progressivement mise en œuvre non seulement en Europe, mais tout particulièrement en France. Durant les 30 glorieuses, la France a connu une Américanisation de sa société bien plus profonde que ce qu’ont connu ses voisins du sud, notamment l’Italie ou l’Espagne.


Depuis globalement l’après-guerre, et plus précisément depuis les années 60, grâce à la puissance médiatique Américaine, différentes générations ont été élevées inconsciemment dans l’idée que tout ce qui touche au monde anglophone serait « moderne » et à la mode.


Ainsi, à partir de cette époque, nous observons une très nette rupture culturelle, qui tend à s’accentuer de générations en générations. Depuis cette époque, les cultures populaires françaises traditionnelles, fruit de l’évolution naturelle menée depuis des siècles dans l’ensemble de ses territoires, ont quasiment cessé d’exister, remplacées par de tentatives plus ou moins maladroites de se calquer sur un modèle culturel en provenance des Etats-Unis ou d’Angleterre.


Ceci est particulièrement évidant dans le domaine de la musique populaire. Alors qu’il existait des traditions typiquement locales, évoluant au gré des époques, mais restant propre la sensibilité particulière de notre culture, notamment au travers de la tradition de la chanson française ou des différentes traditions musicales régionales. Ces musiques populaires ont été remplacées avec l’arrivée de nouvelles générations qui se sont mises à regarder exclusivement vers les USA ou l’Angleterre. Bien sûr, ponctuellement, des choses intéressantes ont pu être produites, lorsque le génie français a été capable de s’approprier des influences extérieures pour les dépasser, mais ces cas sont cependant des exceptions. Il faut constater que la plupart du temps, la production musicale populaire française à partir des années 60 a souvent consisté en des imitations sans âme d’une culture qui n’est pas fondamentalement pas la nôtre.


Lorsque nos vedettes ont commencé à penser que pour être dans le vent, il fallait s’appeler "Johnny", "Eddy" ou "Joey", et adapter systématiquement toutes les modes venant d’outre Atlantique sans se poser trop de questions, la culture populaire française a commencé à être en danger. Aujourd’hui, après plusieurs générations, il semble que nous ayons perdu le fil d’une grande partie de notre propre culture, au point que nous ne la connaissons plus.


Ceci est particulièrement visible parmi les classes populaires, celles qui ont moins spontanément l’accès à la culture, et dont la culture mercantile populaire est devenue, contre leur gré, l’unique référence. Le phénomène d’acculturation des masses populaires s’étant accentué au fil des décennies, nous avons vu apparaitre depuis les années 1990 une explosion des prénoms à connotation Américaine, souvent mal orthographiés. C’est assez symptomatique d’un peuple en perte de repères identitaires qui cherche à se rattacher à tout prix à un imaginaire importé, sans enracinement ni sens commun. Des parents ayant oublié leurs repères culturels français ont pu penser (et continuent à le faire), qu’avoir un prénom à la consonance ou doté d’une graphie « anglo-saxonne » serait un gage pour se faire une place dans le monde moderne. La réalité est tout autre, ces prénoms sans racines et dénués de signification dans notre culture sont souvent à l’origine de stigmatisation sociale, dénotant l’appartenance à une tranche de la société française coupée de ses racines, qui, tristement, ne sait plus qui elle est ni à quelle culture elle appartient.


Il y a plusieurs attitudes à avoir par rapport à cela. La première consiste à nier le problème, à considérer qu’il s’agit là d’évolutions de la société contre lesquelles rien ne doit ni ne peut être fait, et que, finalement, si nos pays latins perdent leurs âmes, ce ne serait pas grave, voire ce serait une bonne chose tant nos cultures seraient vues comme rétrogrades et insignifiantes dans le monde moderne. C’est en gros le message tenu par une partie de nos élites qui voient dans cette perte d’âme le moyen idéal pour nous faire entrer définitivement dans l’empire global. Les élites de gauche, quant à elles, bien qu’à l’origine souvent critiques à propos de l'impérialisme culturel et économique des Etats-Unis, ont fini par l’accepter. Considérant souvent qu’il n’y avait rien à y faire, voire qu’il serait quelque peu fascisant que de vouloir agir en faveur du maintien d’un ancrage dans une culture française. Paradoxalement, cette même élite est souvent très heureuse de pouvoir profiter pour elle-même des avantages culturels qu’offrent l’appartenance à une identité française, vivant dans en centre ville dans des milieux culturellement homogènes, et veillant à transmettre la culture française à leurs enfants. Finalement, pour eux, peu importe que les classes populaires soient américanisées, à partir du moment où une petite élite garderait les moyens de conserver le meilleur de la culture Française il n’y aurait pas de problèmes.


Et puis, il y aurait une autre attitude, qui consisterait à penser que la perte de notre identité culturelle populaire au profit d’une identité globalisée serait une perte d’âme, à laquelle nous pourrions résister à la simple condition d’en avoir conscience, de poser le bon diagnostic et d’en avoir la volonté. Il y a une prise de conscience à avoir de la part des français. Une façon d’ouvrir les yeux sur le fait que nous avons été sous influence depuis des décennies parfois même sans nous en rendre compte. Cette prise de conscience se fait doucement, mais de façon encore trop timide car nous sommes dans un processus politique qui possède une inertie et qui a bloqué de nombreux verrous. Pour cela, il faudrait que nous reprenions conscience du caractère fondamentalement latin et méditerranéen de notre identité commune, sans attitudes extrémistes. Sans cela, la France risque de perdre définitivement son âme.






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