Préambule
- Luc Delmont
- 25 déc. 2021
- 7 min de lecture

L’occident traverse une crise identitaire
Fin 2020, en France, en Europe et dans le monde, pour beaucoup, se présente une période trouble et incertaine. Des crises économiques qui se succèdent, la crise climatique qui assombri l’avenir de notre espèce, les tensions communautaires qui vont s’aggravant, des attaques terroristes religieuses se répètent, et maintenant, une crise sanitaire qui s’éternise et paralyse nos sociétés et leurs économies... Il s’agit sans trop en douter d’une période de profonde angoisse existentielle pour l’ensemble des peuples de la planète, y compris pour le monde occidental. Depuis des décennies,
Ce monde occidental, semblait si sûr de lui, mené par les Etats-Unis incarnant le rôle du sauveur planétaire Hollywoodien porteur d’une mission quasi-messianique de défenseur du « monde libre ».
Il ne faisait aucun doute, qu’après la seconde guerre mondiale et sa victoire sur le fascisme, et, à fortiori depuis sa victoire sur le bloc communiste, que cet ensemble « occidental » incarnait la seule marche vers le « progrès », sous toutes ses formes, technologique, économique ou sociétal.
Le progrès économique porté par son idéologie ultra-libérale, et le progrès sociétal porté par le souhait de déconstruire tous les codes sociaux traditionnels, alors jugés trop contraignants pour des sociétés aspirant à l'individualisme-roi.
Les sentiments d’appartenance à une famille, à une nation, à un peuple ou la simple idée de se revendiquer l’appartenance à un territoire forgé par l'histoire et la géographie étaient soudainement jugé suspects, car faisant référence à un monde passé que l’on voulait oublier.
Fort de ses conquêtes technologiques, économiques et culturelles évidentes, cet «occident» victorieux se croyait avec arrogance toujours dans le juste, le bon et le vrai. Il n’avait alors d’yeux que pour la transgression des règles établies et des continuités historiques, constituant ainsi une doctrine fondatrice, parfaitement incarné par des mouvements de "rébellion obligatoire", faussement contestataires qui se succèdent depuis des décennies.
Marquées par un certain culte moderne pour les rébellions de façade, ces mouvements, que l’on a pu croire spontanés, ont été un formidable outil de diffusion planétaire d’une nouvelle religion hédoniste, consumériste, individualiste et finalement sans sans objectif… mettant en marche des générations vers une destination alors inconnue mais présentée sous les atours d’un monde idéal individualiste.
Des décennies plus tard, ce monde « occidental » découvre qu'il s'agissait en fait d'une sorte de "fin de l'histoire" dans laquelle les jeunesses successives ont été formattées avec l'idée que chaque génération se doit de rejeter tout ce qui lui a été transmis par les précédentes. Cependant, cet occident a aujourd'hui beaucoup du mal à remettre en cause ses certitudes et oser se reconnecter avec son continuum historique.
Ou la France se situe par rapport à ce « monde occidental » ?
Dans ce contexte marqué par l’hyper-individualisme, le consumérisme et le nihilisme, que pourrait signifier renouer avec le cours de l’histoire pour la France ? C’est là une question qui se pose avec une acuité toute particulière dans une France qui ne sait plus où elle va, probablement car elle ne sait plus qui elle est.
Sommes-nous d’ailleurs vraiment un pays « occidental », dans le sens moderne où celui-ci est aujourd’hui porté dans le monde ? C’est une question que l’on n’ose même pas se poser. Pourtant, nous devrions.
La France fait sans aucun doute partie de l’occident dans le sens historique, dans le sens originel du terme. Cet occident qui est né de la civilisation gréco-latine, aux racines culturelles méditerranéennes, forgé par la matrice catholique Romaine, et qui s’est distingué du monde méditerranéen « oriental », d’abord orthodoxe, puis islamique après la chute de Constantinople aux mains des Ottomans.
Mais s’agit-il vraiment de la même civilisation que l’«occident » individualiste et consumériste porté par la puissance Américaine depuis au moins la fin de la seconde guerre mondiale ? Bien que le mot soit le même, il s’agit clairement d’une civilisation distincte de la nôtre, portant des valeurs différentes, voire opposées.
La civilisation qui domine la planète actuelle est Américaine, et ses racines culturelles sont, nous pourrions dire, Anglo-Saxonnes, voire Germaniques. Par soucis de clarté et de simplicité, à partir de ce point je nommerai cette civilisation la « civilisation anglo-saxonne » et non plus la « civilisation occidentale ».
Les Etats-Unis, malgré les antagonismes politiques apparents sont en réalité porteurs d’un modèle de société très clair, marqué par la domination de la liberté individuelle, en opposition à l’idée que nous existons aussi en tant que collectivité cohérente.
Finalement, aux Etats-Unis, et dans les pays Anglo-Saxons en général, les différents partis politiques s’accordent généralement pour penser que la société est une addition d’individus et que l’intérêt particulier n’est que la somme des intérêts individuels, ou la somme d’intérêts de groupes, ou de communautés. La différence entre les républicains ou les démocrates réside plus dans quelle communauté est défendue par chaque parti, soit la majorité « blanche » dans un cas, ou les « minorités racisées » dans l’autre, plutôt qu’un affrontement idéologique entre deux modèles de société réellement opposés.
Dans cette civilisation Anglo-Saxonne, ce qui unit les individus, c’est l’économie, la consommation, le fait de faire partie d’un système de valeurs qui donne au commerce un rôle structurant à la société.
Une Europe intrinsèquement divisée
Nous le voyons aujourd’hui, il existe des différences fondamentales d’approches au sein de l’Europe, créant des incompréhensions entre les pays dans la façon de penser et gérer l’union, menant, inéluctablement à des dysfonctionnements, une faiblesse générale, voire une paralysie politique entre les différents pays.
Depuis ses origines, l’Union Européenne originelle a été détournée et utilisée par les Etats-Unis dans l’objectif de constituer une sorte d'avant-poste de la civilisation Anglo-Saxonne sur le territoire Européen. Un des objectifs étant à terme de faire entrer intégralement l’Europe de l’ouest dans le giron économique et culturel Américain.
La France, a longtemps été porteuse d’une vision différente. Elle a pu voir dans une Union Européenne sous influence française une façon de conserver son indépendance face aux deux superpuissances de la guerre froide. Dans un premier temps, cela a plutôt bien fonctionné. Puis, avec l’entrée de la Grande Bretagne dans l’union, puis la montée progressive de l’Allemagne réunifiée, l’intégration de pays d’Europe centrale et orientale, la voix spécifique de la France s’est faite plus discrète. Dans les dernières décennies, l’Europe s’est donc progressivement construite selon les principes de la société Anglo-Saxonne, associant libéralisme sociétal et libéralisme économique.
Malgré les oppositions du peuple (notamment lors du référendum de 2005), ce processus s’est poursuivi, appuyant ainsi la transformation de la France vers le modèle Anglo-Saxon. Ceci va à l’encontre de l’objectif initial de la France pour sa participation à l’union Européenne, qui était au contraire de constituer une « troisième voie », une défense de ses valeurs spécifiques.
En fait, dès l’origine, l’Union Européenne a été voulue et souhaitée par différents pays, croyant s’accorder, alors que chacun avait en tête une conception radicalement distincte, voire opposée de ce qu’est la civilisation Européenne.
D’un côté, l’Europe du Nord aux langues germaniques et aux racines culturelles forgées par l’éthique protestante. De l’autre, une Europe de langues latines, d’héritage catholique Romain. A cette opposition nord-sud c’est ajoutée une troisième Europe, slave et catholique, coincée entre l’Europe de l’ouest et le monde slave/orthodoxe.
Cette opposition entre différentes Europes, ce n’est pas seulement du folklore. Ces « Europes » expriment de fait des visions clairement distinctes de ce qui défini notre civilisation. C’est l’imaginaire même de ce que cela signifie être Européen qui diverge profondément.
Pour l’Europe du Nord, Germanique et protestante, l’idée d’Union Européenne évoque la Ligue Hanséatique, quand les marchands du nord de l’Allemagne commerçaient selon des principes de libre-échanges avec une multitude de ports francs situés sur le pourtour de la mer du Nord et la Mer Baltique. C’est bien de leur point de vue un projet principalement commercial basé sur le principe de libre-échange dans un espace géographique éclaté en de multiples principautés indépendantes mais culturellement homogènes. Le cœur de leur Europe c’est la mer du nord et la Baltique : Amsterdam, Hambourg, Kiel, Stockholm, Copenhague.
De l’autre côté, dans l’imaginaire des pays du sud dont nous faisons partie, même si nous n’en avons pas toujours conscience, l’idée d’Europe évoque l’héritage Grec, la culture Romaine et son universalisme qui nous a légué la plus grande part de notre culture, la renaissance Italienne qui a su prendre souche de façon naturelle en France et s’exprimer d’une façon singulière, l’Europe c’est aussi l'humanisme des lumières et l’épopée Napoléonienne, qui a revêtu les habits de l’empire Romain pour tenter de porter les valeurs de la révolution, de la raison et des lumières…
Bref, d’un côté nous avons un idéal culturel, civilisationnel, universaliste et profondément politique, de l’autre nous avons un club à vocation essentiellement commerciale, partageant avec le monde Anglo-Américain les valeurs de libre-échange issues du libéralisme protestant.
Ces deux projets sont fondamentalement incompatibles, nous l’avions vu avec la crise de l’Euro en 2011, et récemment l’avons encore vu avec les discussions dites « historiques » sur le plan d’aide des conséquences économiques liées à la crise du CoVid-19. En fait, la vision de l’UE que défend l’Europe Protestante est exactement ce que contre quoi l’Europe latine souhaitait lutter en faisant l’Union Européenne. La France, L'Italie ou l'Espagne respectent les pays d'Europe du Nord, mais n'en partagent pas les valeurs. e résultat ne peut qu’être bancal et insatisfaisant pour toutes les parties.
Si le Royaume-Uni a quitté l’UE, c’est souvent pour des raisons diamétralement opposées à celles qui pourraient amener à la sortie de la France ou de l’Italie de l’union. Les Britanniques ont souhaité quitter l’Union Européenne car elle était perçue comme n’étant pas assez libérale, trop « française »… Tandis qu’en France, les « eurosceptiques » dénoncent son caractère fondamentalement libre-échangiste, trop ancré sur une vision Anglo-Saxonne.
Pendant longtemps, un certain statuquo, cherchant l'équilibre entre ces deux visions, a pu réussir à masquer les divergences d’approches. Progressivement, sous la convergence entre la gauche sociale-démocrate et du centre-droit libéral, le projet Européen s’oriente depuis une vingtaine d’années, de plus en plus vers un projet libéral « à l’anglo-saxonne », associant le libéralisme économique qui met le marché au centre de la société, et le libéralisme sociétal qui ne pense la société qu’en termes de sommes d’individus indépendants.
Retrouver un sens, une direction ?
Pour l’Union Européenne, il ne semble que cette dynamique n’ait que deux issues possibles : Soit l’acceptation par les nations latines d’embrasser la civilisation « anglo-saxonne » portée par l’UE actuelle et les pays de la « nouvelle Ligue Hanséatique », adoptant ses valeurs spécifiques et son modèle de société. Soit le rapprochement de ces nations du sud de l'Europe en vue de défendre ensemble une autre civilisation, plus conforme à leur histoire et leur identité. Ce rapprochement pourra se faire en restant dans un cadre d’une union Européenne "a minima", ou bien en en sortant complètement du projet Européen actuel et en mettant en place une Europe latine des nations.
L’objectif de cet essai est de proposer des pistes de réflexion, d’illustrer pourquoi nous pensons que la France fait probablement fausse route en cherchant à tout prix à rentrer dans un moule culturel et politique qui n’est probablement pas celui dans lequel elle sera capable de retrouver le sens de son histoire et de son identité.
Retrouver un chemin collectif n’est cependant pas une chose aisée lorsque de nombreux repères ont d’ores et déjà disparu depuis quelques décennies. Pour savoir où l’on va, l’adage nous invite à rechercher qui nous sommes. C’est l’objet des différents posts qui suivent.
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