Un pays plus divisé que jamais
- Luc Delmont
- 1 août 2024
- 6 min de lecture
Depuis les élections présidentielles de 2022, l’absence de majorité absolue du bloc Présidentiel avait amené le gouvernement porté par Elisabeth Borne à gouverner de façon autoritaire en imposant des orientations politiques ne recueillant pas l’accord de la majorité des électeurs.
La décision de dissoudre l’assemblée nationale de juin 2024 avait pour objectif d’effectuer une « clarification » de l’état politique. Le pouvoir espérait qu’une majorité claire s’affirme à la suite de ces élections.
Ce qui en est sorti en est l’inverse. Une division de l’assemblée en 3 blocs politiques de poids plus ou moins équivalents, et ayant tous les trois pour caractéristique principale de s’opposer violemment aux deux autres.
Plutôt que de tracer l’expression d’un projet clair porté par une majorité de Français, les résultats de ces élections ont révélé un état de division profonde du corps électoral, et plus généralement, d’opposition idéologique forte entre plusieurs « Frances » semblant irréconciliables.
Au-delà de la division du pays en trois principaux blocs, d’autres lignes de fracture apparaissent, y compris au sein de l’électorat de chacun des blocs.
Des oppositions entre partisans d’une poursuite, voire d’une accélération des processus d’intégration fédérale au sein de l’UE et ceux qui souhaiteraient aller vers une Europe des nations. Des oppositions entre partisans du maintien du modèle social Français et ceux qui souhaitent pousser la société Française à adopter le modèle libéral Anglo-Saxon dominant. Des oppositions entre partisans de la « déconstruction » de notre héritage culturel commun, et ceux qui souhaiteraient le poursuivre, des oppositions entre partisans d’un mode de vie plus sobre et respectueux de l’environnement, et ceux qui privilégient l’attachement à la société de consommation ; oppositions aussi entre partisans du renforcement de l’application de la loi et ceux souhaitant désarmer la police, etc.
Il y a aussi ; bien entendu, de multiples nuances. Sur chacun de ces sujets, il existe une opposition entre des franges radicales qui ne s’opposeraient pas à la mise en œuvre de politiques brutales, voire autoritaires sur un certain nombre de sujets, et ce l’autre côté, des gens attachés à la nécessité de discuter et de trouver des solutions plus nuancées acceptables par le plus grand nombre. Le bloc central Macronien joue beaucoup sur l’idée que, du fait de son positionnement prétendument « centriste », il serait le seul rempart contre les « extrêmes ». C’est d’ailleurs avec cet argument qu’il est arrivé au pouvoir et s’y maintien depuis des années, plus que sur une adhésion à son programme.
Or, quand on y regarde de près, les propositions politiques du « bloc central » non seulement sont très loin d’être soutenues par la majorité de la population, mais sont aussi très loin d’être exemptes de radicalité. Les positions stratégiques fondamentales de ce bloc sont souvent très clivantes et provoquent une opposition de la majorité de la population. Que ce soit sur le projet Européen (positions très fédéralistes), sur les réformes sociales (exemple de la réforme des retraites), sur l’international (positions très favorable à une forme de vassalisation de la France vis-à-vis des Etats-Unis), ou sur la « guerre culturelle » (promotion des luttes « wokes » à peine dissimulée dans une politique du « en même temps »). Tous ces sujets fondamentaux de la Macronie, les français estiment majoritairement que l’imposition autoritaire de mesures très clivantes est l’expression d’une forme d’extrémisme qui ne dit pas son nom.
Ainsi, nous pouvons considérer que l’importance du bloc centriste à près d’un tiers de l’électorat n’est pas le résultat d’une adhésion programmatique mais plutôt l’expression d’une peur ou d’un rejet de l’extrémisme, réel ou prétendu des deux autres blocs.
Si l’on prend en compte l’opposition entre les deux « blocs » restants, on se retrouve avec une opposition plus classique entre la droite. Bien que chacun de ces blocs sont partagés entre des partis plus radicaux (FI ou EELV du côté gauche et RN et reconquête du côté droit) et des partis historiques plus modérés (PS pour le bloc de gauche et LR pour le bloc de droite).
Au-delà des clivages internes à chaque bloc sur les questions économiques (les partis « radicaux » de chaque bloc ont une dimension plus « sociale » que leur partie « modéré »). Ces deux blocs portent chacun des conceptions de l’identité Française, de son avenir et de sa nature, qui semblent irréconciliables.
Deux approches antagonistes de l'identité et de l'avenir du peuple français
D’un côté, un bloc de gauche qui a tendance à estimer que l’identité française est une construction exclusivement politique, traduisant, d’une certaine façon, l’idée que l’héritage culturel, élaboré au fil des siècles n’aurait pas ou peu d’importance. De ce point de vue, il n’existerait pas de culture « de France », mais juste des cultures « en France » ; comme si le territoire dont il est question n’était qu’un réceptacle neutre, incapable de produire une culture qui lui soit propre. Comme si la France n’était qu’une terre vierge de toute anthropologie dont la seule particularité serait d’avoir été dotée d’un cadre administratif permettant d’accueillir sur son sol des individus et des cultures venus d’ailleurs.
Dans ses formes les plus radicales, cette posture tend souvent à développer une attitude de rejet de toute forme d’identité liée de près ou de loin à un héritage culturel ou un ancrage territorial national, ce qui implique souvent des réflexes quasi pavloviens en considérant toute expression de l’attachement à l’enracinement local comme une forme de « fascisme » contre lequel, de ce point de vue, il faudrait légitimement lutter.
Cette posture, très répandue dans les médias de gauche, mais aussi dans les organes de l’éducation nationale, de l’université ou du monde culturel, tend à installer une petite musique dans l’espace public qui induit un « deux poids deux mesures » difficile à accepter pour des millions de français : D’un côté la célébration et l’expression de toutes les identités individuelles et de toutes les identités collectives lorsqu’elles viennent d’ailleurs, et de l’autre côté, le rejet ou la méfiance envers cette même expression de l’identité lorsque celle-ci vient de la France et des territoires qui la composent.
De ce point de vue l’immigration est vue exclusivement comme une chance, car elle permettrait d’introduire la « diversité » culturelle qui permettrait de marginaliser le peuple et la culture historique du pays, par essence perçus comme potentiellement fascistes.

De l’autre côté, un bloc de droite pour qui l’unité de la nation revêt une importance fondamentale pour le maintien de la cohésion de la société. De ce point de vue il existe au préalable une réalité culturelle, historique et anthropologique qui a permis d’établir les bases de notre république, ses codes, ses principes fondateurs.
Il y a parfois l’habitude de penser que la France serait une entité culturelle, ethnique, voire raciale qui existerait depuis toujours. Il s’agit d’une France qui est attachée à ce qui furent pendant des siècles le creuset de la nation, même avant la révolution : la langue française et le catholicisme. D’une façon générale, il s’agit de considérer que le territoire national possède est porteur en lui-même d’une identité nationale et des identités régionales forgées au cours des siècles, voire des millénaires par les particularismes géographiques, historiques et anthropologiques.
Dans ses formes plus radicales, cet attachement peut se traduire par une peur ou un rejet de toute influence extérieure ou une crainte de toute forme d’évolution. Dans certains cas, il peut s’agir d’une forme de nostalgie et d’idéalisation pour des régimes politiques de la France pré-révolutionnaires comme c’est le cas des mouvements d’extrême droite marginaux prônant le retour à la monarchie.
De ce point de vue, l’immigration, et en particulier l’immigration massive et mal intégrée ou issue de cultures très différentes, est souvent perçue comme pouvant représenter une menace potentiellement mortelle pour le pays, remettant en question l’idée même de continuité historique et anthropologique du pays.
Comment ne pas imaginer que la radicalisation de ces deux approches antagonistes, se nourrissant l’une de l’autre, ne risquerait pas à plus ou moins court terme d’aboutir à une confrontation fratricide ?
A la recherche d'une troisième voie
Quelle pourrait-être la troisième voie, celle qui permettrait de retisser le lien qui s’est progressivement dénoué au sein de la société française ?
Contrairement à ce qu’elle prétend, la Macronie ne pourra jamais être cette voie de conciliation entre les deux blocs. D’une part parce que ce bloc « central » porte lui-même une dimension radicale et clivante sur de nombreux sujet pour une majorité de Français, mais surtout parce que, sur la question fondamentale de l’identité le bloc Macronien a pris parti nettement pour les conceptions communautaristes du bloc de gauche. Emmanuel Macron venant lui-même de la tendance « Terra Nova » du parti socialiste avait lui-même prononcé les paroles suivantes : « il n’existe pas de culture de France, mais des cultures EN France », qui ont été perçues comme polémiques par un nombre important de Français.
Nous avons la certitude qu’il peut exister, à la fois chez les français de droite et de gauche un appétit pour des approches alternatives de l’identité qui pourraient réunir les français dans une vision commune de l’avenir de leur vivre-ensemble, qui dépasserait les clivages entre droite et gauche, sans nécessairement effacer les différences sur les autres sujets.
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