Le règne de l' « impertinence officielle" envers nos racines culturelles latines
- Luc Delmont
- 31 juil. 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 août 2024
Il est souvent affirmé que notre époque se caractérise par une inversion des valeurs. Même s’il s’agit d’une idée parfois un peu simpliste, il y a cependant une part de vérité dans cette affirmation.
La récente polémique sur le spectacle d’ouverture des jeux Olympiques en est une illustration assez éclairante, qui nous donne certaines indications sur les raisons pour lesquelles nos sociétés occidentales à inverser le concept d'impertinence.


Si nous retenons, par exemple le fameux tableau que l’on a attribué à une caricature de « la Cène » ou du « festin des Dieux ». D'ailleurs, que ce soit l'un ou l'autre ne change pas grand-chose, dans les deux cas, nous voyons se rejouer une fois de plus l’expression assez habituelle de l'impertinence potache vivant à ridiculiser des représentations symboliques de "l'ordre établi".
Que cette scène de la cérémonie d'ouverture des JO soit une satire de notre héritage culturel catholique ou plutôt de notre imaginaire mythologique issu de l'antiquité gréco-latine n’a finalement assez peu d’importance. Dans les deux cas, cela semble relever au premier abord de cette vieille tradition d’impertinence bien française qui consiste à ce que le peuple se moque des conventions sociales établies par la classe dominante.
"Une vielle tradition d'impertinence à la Française envers l'ordre établi"
Cette tradition existe depuis longtemps. Elle arrivait parfois à se manifester directement à la cour du Roi. Au 17ème siècle, Molière dressait dans ses pièces des portraits peu flatteurs d’une élite qu’il se plaisait à faire descendre de son piédestal avec esprit et une maitrise subtile de la langue. Bien que les représentations s’adressaient principalement à la cour, le sujet de la moquerie était l’aristocratie elle-même, ses travers et ses obsessions ridicules.
Pus récemment, porté par l’esprit de la « contre-culture » des années 60-70, l’esprit d’impertinence est devenu un véritable outil médiatique à visée politique. Il s’agissait de tenter de faire définitivement tomber l’ordre moral de la société dominante portée par la bourgeoisie. Cet objectif politique s’est classé à « gauche » en s’alliant ponctuellement avec les revendications sociales des classes populaires, car "l'ordre établi" était associé à la droite. Cependant, dès 1968, ce mariage idéologique, aurait pu commencer à montrer ses limites, car il était porté par des dynamiques différentes, voire opposées. La lutte contre l’ordre moral bourgeois était généralement porté par les enfants économiquement favorisés issus de cette même bourgeoisie, et très peu par les classes populaires.
Dans les années 60, le poids et l’importance de l’église Catholique en France commençait son déclin, mais restait structurante dans les mœurs et références morales de la bourgeoisie dominante. La contre-culture, a coup de provocations et d’impertinence, exprimait le souhait d’une jeunesse bourgeoise de se détacher du carcan moral éducatif très conservateur, empreint de religion catholique et de références omniprésentes à la culture classique.
Dans ce contexte, des performances et expressions artistiques telles que celles présentées dans la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2024 à Paris auraient conservé toute leur pertinence. Même si elles sont portées par des enfants de la Bourgeoisie, elles auraient incarné le cri d’un peuple écrasé sous des conventions morales étouffant les libertés fondamentales. De même, dans le contexte de sociétés ou de régimes ultra conservateurs (et il en existe encore beaucoup en dehors de l'occident), où la loi et la morale ne font qu’un, « déconstruire » ce carcan aurait constitué une bouffée d’air salutaire pour le peuple opprimé.
Ce que les organisateurs de cette cérémonie semblent ne pas avoir saisi, c’est que, dans le monde occidental de 2024, la "contre-culture" est devenue la culture dominante portée et promue par la bourgeoisie.
Bien sûr il reste, dans certaines plus petites villes de province, une petite et moyenne bourgeoisie encore attachée à l’héritage culturel ancien. Cette classe sociale est en partie en voie de marginalisation et s’approche plus des classes moyennes déclassées par la mondialisation qu’à une classe sociale « dominante ».
Mais dans les grandes Métropoles, et surtout dans les milieux décisionnaires, la contre-culture domine largement dans les références culturelles de la bourgeoisie et de la haute bourgeoisie. Lorsqu’elle s’exprime culturellement, ce nouvel ordre bourgeois, souvent qualifié de "Bourgeois-Bohême", tend à vouloir s'approprier l’imaginaire artistique des classes dominantes de la gauche anglo-saxonne. Cette fascination explique la présence de Lady Gaga, Snoop Dog et autres figures importés de la culture "urbaine" des Etats-Unis.
Depuis des décennies, nos classes dominantes ressentent souvent un complexe d’être français, une sorte de honte ou de frustration à devoir être attaché à ce petit bout de terre qu’elle estime être ennuyeux, démodé, voir rance. Elle préférerait souvent être de New-York ou de Los Angeles que de Picardie, de Corse ou de Provence…
Ainsi, cette classe dominante porte un tropisme culturel Etats-Unien depuis un certain nombre de décennies. Depuis quelques années, elle promeut aussi activement un nouvel ordre moral, le wokisme, lui aussi importé directement de l'idéologie centrée sur l'individu de la gauche Américaine. Pour promouvoir le catéchisme nombriliste et ultra-individualiste du « wokisme », il est nécessaire de s’acharner encore et toujours à « déconstruire » le creuset culturel universaliste gréco-latin et catholique de la culture française, qui n'est pourtant plus dominant depuis des décennies.
Cette fascination de nos élites pour les Etats-Unis, associée à un « complexe du corn-flakes » bien franchouillard, est ce qui nous amène à avoir un metteur en scène souhaitant faire une cérémonie d’ouverture des JO « à l’opposé du Puy du Fou », c’est-à-dire le plus éloigné possible du creuset ayant fait la France. Malgré certaines scènes spectaculaires ou émouvantes faisant honneur à l’image de la France telle qu’elle est aimée dans le monde entier, l’imposition de tableaux « woke », justifiés au nom de « l’impertinence contre l’ordre établi » est un contre-sens absolu, en plus d’être hors de propos dans le cadre d’une cérémonie sportive qui a pour objectif premier de rassembler les nations.
Inversion du concept d'impertinence : quand les élites se moquent des peuples
C’est un contre sens, car, comme nous l’avons vu plus haut, l’impertinence n’a de sens que lorsque le peuple remet en cause un ordre établi par des élites. Dans la cérémonie d’ouverture des JO, ce que nous avons vu ce n’est pas un peuple se moquant gentiment d’un carcan conservateur incarné par le pouvoir en place, mais au contraire, ce sont des petites « élites culturelles » de la Haute bourgeoise et portés officiellement par les autorités, qui choisissent de mettre en dérision l’attachement affectif qu’a le peuple français « périphérique » pour ses racines culturelles, qu’elles soient gréco-latines ou issues du catholicisme.
Il y a une escroquerie grotesque de prétendre s’inscrire dans une tradition populaire très française de « rébellion populaire » contre un « pouvoir oppresseur », lorsque l’on est choisi, porté et mis en avant dans le cadre d’une cérémonie officielle voulue et souhaitée par le pouvoir.
L’esprit d’impertinence a été vidé de sa légitimité populaire pour devenir aujourd’hui un culte de la "rébellion obligatoire", un oxymore imposé médiatiquement par une élite culturelle, et hypocritement présenté comme s'inscrivant dans la tradition de rébellion contre le système oppresseur.
Il en résulte une inversion des valeurs, ou les attachements affectifs du peuple traditionnel se voient moqués par un pouvoir élitiste se prétendant représenter les « dominés ». Nous ne pensons même pas que cette inversion des valeurs soit consciente ou voulue par tous ceux qui y participent. La plupart du temps, ils s’agit d’un réflexe quasi pavlovien, qui s’est progressivement vidé de son sens au fur et à mesure que la « contre-culture » devenait la "culture officielle".
Il serait temps de sortir de ce piège qui n’aide pas notre pays à avancer ni se réconcilier avec lui-même.
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